Audition de M. Jacques Delors
23 février 1995
Application du Traité de Maastricht, en vigueur depuis le 1er novembre 1993.
Le Conseil a demandé au Parlement européen un rapport sur le fonctionnement du Traité: ce n'est pas facile, après 15 mois d'application.
Au départ il y avait un débat entre les partisans du temple et les partisans de l'arbre.
1er pilier: Démocratie
Le Parlement européen a géré très bien la procédure de codécision qui a commencé à fonctionner.
La "comitologie" aussi fonctionne.
Transparence: le Conseil a accepté de tenir des travaux publiques.
Sentiment croissant de frustration (fondé ou non) des Parlements nationaux dans la préparation des modifications des traités et en général dans la vie de l'Union.
Lourdeur de la préparation des décisions.
Les actes législatifs sont de plus en plus rades, puisque la plupart des actes nécessaires ont déjà été adoptés.
Les relations entre le Conseil et le PE sont exagérément complexes: il y a huit procédures différentes.
Union économique et monétaire: cette partie du traité, précédée par un grand travail technique, est considérée comme bonne. Le calendrier du UEM se déroule normalement. Je reste dubitatif sur deux points: d'une part je ne vois pas comment il pourrait y avoir une Banque centrale européenne sans une coordination des politiques économiques nationales; d'autre part si la banque centrale agissait sans contrepartie (une autorité de l'Union chargée de la politique économique commune), l'opinion publique ne comprendrait pas.
Politique économique et de sécurité Commune: démarrage laborieux pour cinq raisons: construction générale, volonté des Etats membres, mode de décision (unanimité), absence de démocratie et de contrôle de la Cour de Justice et absence de stratégie.
1. Formulation pernicieuse, compte tenu des différences entre les Etats membres. Seulement l'action humanitaire a marché: structure faible.
2. Absence de toute forme réaliste et rigoureuse de préparation des décisions. Absence de volonté politique. La Commission n'a jamais demandé de se substituer aux autres institutions. Il n'y avait aucun organisme qui prépare les décisions. Improvisation totale.
3. Manque de cohérence entre politique étrangère et relations économiques extérieures. Dispute institutionnelle au sujet de l'aide économique et financier aux pays tiers.Affaires intérieures et judiciaires: J'ai senti beaucoup plus d'intérêt. Le Conseil européen a donné une impulsion à EUROPOL. Imprécision entre le 1er et le 3e pilier dans le Traité de Maastricht: il y a cinq organes appelés à intervenir (outre ceux nationaux).
Problèmes: les élargissements à venir ne sont pas de la même nature de ceux déjà arrivés; l'Union Européenne déjà à 15 a du mal a fonctionner avec les structures prévues pour 6.
Exigence démocratique: la conception de citoyenneté européenne est contestée, mais en fait elle ne substitue pas les citoyennetés nationales: il faudrait définir un petit catalogue de droits et de devoirs des citoyens européens:
- sécurité à l'étranger;
- réelle liberté de circulation;
- sécurité interne.
Parlements nationaux: En France le Parlement a un sentiment croissant de frustration que je comprends peu. Quand le Parlement national a accepté de céder des pouvoirs à l'Union, il ne peut pas ensuite prétendre jouer un rôle dans le fonctionnement de l'Union.
Concertation et information: les Parlements nationaux doivent faire valoir la responsabilité politique des respectifs gouvernements.
Exigence d'efficacité: Monopole de la Commission en matière d'administration: élément essentiel de la structure.
Nécessité d'une simplification des procédures entre Conseil et Parlement.
Rôle des Comités à reconsidérer.
Europe à deux vitesses?
Union européenne: Ensemble d'Etats avec des objectifs communs mais prévoyant la possibilité d'adhésion pour les autres Etats associés dès le moment où ils remplissent les conditions requises.
Obstacles à l'adhésion: 1. Ne pas pouvoir; 2. Ne pas vouloir.
Ensemble à géométrie variable? Non: ni noyau dur ni cercles concentrés.
Deux solutions: ou noyau dur et restant ou un ensemble avec le maintien d'une avant-garde. Deux Europes: avantage psychologique: tous les Pays sont égaux; synergie: but que tous les Etats atteignent le même niveau.
Russie, Ukraine et Biélorussie ne paraissent pas appartenir à l'Europe, mais ce sont des Etats avec lesquels on peut avoirun parténariat de qualité.
Conditions minimales pour les nouveaux candidats: identité européenne, démocratie pluraliste, respect des droits de l'homme et acceptation des acquis communautaires.
Cette Europe de l'Est n'est pas constituée de la même manière que nous. Psychologie différente: la coopération économique ne suffit pas pour leur garantir la sécurité interne (minorités, etc.)
Qu'est-ce que l'acquis communautaire? (art. B ou D Traité)
Un élargissement de cette nature conduit à une diminution des compétences communes (?).
Si l'Union européenne ne s'occupe plus du plan social et culturel, je refuse cette Europe. Avec un seul grand marché sans frontières, nous n'irions pas loin.
Processus de décision - Hiérarchie des normes - Politique commune
Comment concilier démocratie et subsidiarité? Qui s'occupe de quoi? Il faut expliquer ce que fait la Communauté et ce qu'elle ne fait pas.
Démocratie: Je suis pour un clair partage des rôles entre le Parlement européen et les Parlements nationaux; mais pour toute matière transférée à la compétence exclusive de l'Europe, c'est le Parlement européen qui doit intervenir.
Efficacité de l'action de l'UE: Dans les matières de compétence commune il faut abandonner l'unanimité pour des majorités qualifiées.
Simplification drastique de la "comitologie".
Présidence de l'Union (seul le président de la Commission est toujours là, visible). La question se pose. L'Europe a besoin d'une personnalisation plus grande.
Il ne peut pas y avoir d'Union si les Pays qui la composent ne s'accordent pas sur ce qu'ils doivent faire ensemble et pourquoi. Quelles sont les motivations communes? Il faut revenir aux sources qui nous emmènent à nous mettre ensemble et à créer des institutions communes pour agir ensemble.
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Mme Izquierdo Rojo: Est-il vrai que vous avez proposé à des membres du Conseil de réduire les compétences budgétaires du Parlement européen?
Réponse: J'ai proposé que les procédures budgétaires soient précisées de manière nette.* * *
M. Bourlanges: 1. La confrontation qui monte entre le PE et les parlements nationaux est probablement aussi due au mode de scrutin pour le PE: il n'y a pas de rapport direct entre électeurs et élus. Quel système électoral tenez-vous pour plus adéquat?
2. Avant-garde: Quelles perspectives de politique monétaire? Quel serait le rôle de l'UEO dans le cadre de la politique de défense commune?
R.1. Je préfère, parmi les systèmes nationaux d'élection des députés européens, le système électoral britannique.
R.2. Je demeure partisan des deux Europes: une Europe plus étendue avec des objectifs communs et une Europe plus motivée. Avec une monnaie unique les déficits d'un Pays sont partagés par tous les membres (par l'Union). Dans l'UEO il y a six (ou huit) statuts différents: comment pourrait être efficace l'action d'une telle organisation?
Je pense qu'il doit y avoir un gouvernement économique en face de la Banque centrale: au besoin, la Communauté Européenne doit fixer des objectifs de politique économique et sociale. Ce n'est pas par hasard que le Traité de Maastricht prévoit des critères sur le taux de chômage.
En cas de conflit entre dollar et monnaie européenne ce serait le Conseil des Ministres qui devrait s'en occuper.
Les citoyens européens envers l'Europe: le livre blanc attirait l'attention sur les taches de la Communauté européenne: beaucoup de Pays l'ont pris au sérieux.
Le principes inspirateurs de la Communauté doivent être la compétition, la coopération et la solidarité.
Citoyenneté: il faut cultiver le sentiment de pluriappartenence. On n'arrivera jamais à donner au sentiment d'appartenance le nécessaire fort degré d'émotion et de passion.
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Question: Quel pourcentage de législation ressortirait à l'Union et quel aux Etats membres et à leurs Régions?
Réponse: L'éducation, la santé, la sécurité sociale et l'aménagement du territoire devraient demeurer dans le domaine national.
Supposons que des élections nationales portent sur des thèmes de compétence européenne: aucun Pays ne peut être obligé d'aller outre, mais aucun Pays ne peut être empêché de le faire.
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De Giovanni: Citoyenneté européenne et confédération d'Etats nationaux. Comment construire une société européenne?
Réponse: Réconforter le sentiment d'appartenance avec une approche fédérale. Par exemple, la question des droits sociaux ressortit à la Nation. L'Europe doit apporter aux citoyens plus de liberté et plus de sécurité.
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M. Cox: 1. Le gouvernement économique doit avoir des moyens budgétaires pour réaliser ses objectifs. Le problème se poserait si la politique monétaire étais centralisée et que la politique fiscale demeure décentralisée.
2. Qu'est que l'acquis communautaire en cas d'élargissement?
Réponses: 1. Les banquiers centraux nationaux ont de grands mérites, mais ils ont une vision étroite (limitée à la situation nationale).
L'Union monétaire ne demande pas que de respecter les critères fixés par Maastricht.
En cas d'élargissement de l'Union, l'augmentation du budget communautaire sera sûre et coûtera plus cher aux pays les plus riches.
Modification de l'organisation des Nations Unies - droit d'ingérence? - régionalisation des crises?
Les Nation Unies sont intervenues autant de fois dans les cinq dernières années que dans les 45 ans précédents.
Dans les deux Europes il y aurait sûrement deux Parlements mais pas deux Commissions, étant la Commission une institution typique et nécessaire de l'actuelle Union.
Une Europe puissante dérangerait les Etats Unis. Elle jouerait un rôle dans le monde. On bornerait la toute-puissance du dollar.
Première des conditions de la paix dans le monde: de bonnes relations avec la Russie.
L'actuel système européen est bâti sur deux législateurs (PE et Conseil) et sur deux exécutifs (Commission et Conseil). Si on enlève le droit d'initiative institutionnelle à la Commission, il faudra rééquilibrer le système institutionnel. Quand-même, plus l'Europe s'élargit, plus le Monopole de l'initiative est nécessaire.
Il y a des domaines qui doivent être décis à l'unanimité: mais dans tous les autres domaines on devrait décider à majorité qualifiée ou renforcée.
L'Europe de l'Avant-garde, ce n'est pas les cercles concentriques.
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Question: Défense du territoire en cas d'agression:assistance mutuelle obligatoire.
Réponse: La multiplicité des statuts des membres est un obstacle à l'intégration de l'UEO dans la structure européenne.
Est-ce que l'on maintient la doctrine du droit d'ingérence des Nations Unies?