LE PARTI DE HELMUT KOHL LANCE DES NOUVELLES PROPOSITIONS SUR L'EUROPE
Les termes de fédéralisé et de noyau dur ne figurent pas dans les deux documents que vont publier les chrétiens-démocrates. L'Allemagne est soucieuse de ne pas heurter certains partenaires, dont la France
par Lucas Delattre
(Le Monde, 11/12-06-95)
Plus que jamais, les dirigeants allemands estiment que l'avenir de l'Europe passe par l'intégration d'un ensemble de pays aux institutions communes renforcées, notamment en ce qui concerne la politique étrangère, la défense, les questions liées au contrôle de l'immigration et à la lutte contre la criminalité. Telle est l'une des toutes premières priorités politiques du chancelier Kohl, à l'approche de la conférence intergouvernementale de 1996.
C'est dans ce contexte que doit prendre place la publication, par le groupe parlementaire chrétien-démocrate au Bundestag, de deux nouveaux documents sur l'avenir de l'Europe. Cet ensemble de propositions sur le renforcement des institutions européennes fait l'objet, depuis plusieurs semaines, d'une élaboration pointilleuse. Les stratèges de la CDU/CSU prévoient d'étendre le principe du vote à la majorité aux questions relevant de la politique étrangère de l'Union européenne - afin d'accélérer les prises de décision - et d'étendre les possibilités de contrôle du Parlement européen. il s'agit aussi, dans un deuxième texte, de renforcer le caractère européen des législations concernant l'asile et l'immigration.
Deux textes - le premier sur la politique étrangère, le second sur les affaires intérieures - doivent être publiés, mardi 13 juin à Berlin, à l'issue d'un conclave du groupe parlementaire CDU/CSU auquel participera le chancelier Kohl. On a beaucoup parlé, à ce propos, d'un deuxième document Schäuble-Lamers , du nom de Wolfgang Schäuble et Karl Lamers, auteurs de la bombe qui avait été publiée le l septembre 1994, et qui avait déclenché, partout en Europe, un vaste débat, violemment contradictoire, sur le noyau dur et sur le caractère fédéral des futures institutions européennes. La démarche d'aujourd'hui est beaucoup plus prudente. En septembre, le chancelier Kohl avait refusé, contrairement à cette fois-ci, d'être associé trop directement aux réflexions de ses amis du Bundestag. Cette fois, il n'est plus du tout question d'effrayer l'opinion européenne en parlant &un noyau dur de cinq à six pays excluant l'Italie et la Grande-bretagne.
Le chancelier, soucieux de ne pas déplaire à Paris (soupçonné de vouloir désormais faire davantage cause commune avec Londres), devrait rayer du texte tout ce qui peut évoquer de près ou de loin une approche fédéraliste des institutions européennes. Il n'est plus question de confier à la Commission européenne destâches qui pourraient en faire un embryon de gouvernement européen, notamment en matière de politique étrangère. Les dirigeants allemands essaient en ce moment de trouver de nouvelles références sémantiques, entre l'intergouvernemental et le fédéral , selon un observateur extérieur.
Les inspirateurs de la pensée européenne du groupe parlementaire CDU/CSU estiment d'ailleurs que l'idée du noyau dur est désormais un acquis. Ne s'agit-il pas de l'habiller autrement en parlant, cette fois-ci, d'une extension du vote à la majorité ? Etendre le vote à la majorité, ce n'est rien d'autre, au fond, que permettre à un petit groupe de pays de mener la danse en Europe. Selon l'un des auteurs du nouveau document de la CDU/ CSU, on ne peut imaginer que des décisions prises à la majorité s'appliquent contre la volonté d'un grand pays . Le Gatt, par exemple, n'aurait pas pu s'appliquer à la majorité du Conseil contre la décision de la France. Le principe devrait donc plutôt servir à forcer les petits pays à s'associer aux décisions de la majorité, avec l'idée d'une abstention constructive quand un gouvernement estime ne pas être en mesure de participer au vote de ses partenaires (ce principe devrait notamment s'appliquer aux décisions d'intervention militaire).
PRAGMATISME
Cette nouvelle réflexion européenne se veut pragmatique et opérationnelle: Nous ne cherchons plus à provoquer les esprits. Il s'agit plutôt d'apporter notre contribution à une plus vaste discussion , dit-on à Bonn.
Avec la création d'un secrétariat général de la politique étrangère et de sécurité commune , l'Union serait dotée, selon la CDU/ CSU, d'une instance d'analyse et de planification . Le but: renforcer l'efficacité et la cohérence des décisions prises par les présidences successives du Conseil européen. La CDU/CSU insiste sur la nécessité d'une véritable politique de défense commune, avec le projet de fusionner à terme l'Union de l'Europe occidentale (UEO) et l'Union européenne. Afin d'assurer la cohérence du lien transatlantique, tous les pays membres de l'UEO devraient également être membres de l'OTAN.
La nouvelle approche des dirigeants allemands est beaucoup moins ambitieuse qu'au mois de septembre dernier. D'ailleurs le député Karl Lamers, porte-parole du groupe parlementaire CDU/CSU en matière de politique étrangère, estime que ses idées (largement fédéralistes) ont été en partie trahies par le nouveau cours imposé par le chancelier Ce dernier s'appuie de plus en plus sur le député et ancien ministre de l'intérieur Rudolf Seiters pour imposer ses vues de politique étrangère au groupe parlementaire chrétien-démocrate. Autre indice de la prudence des dirigeants allemands: le conseil des ministres de Bonn devait également, mardi prochain, adopter un ensemble de propositions définissant la position allemande en vue de la conférence de 1996. Cette idée a été provisoirement abandonnée afin, semble-t-il, d'éviter la moindre friction avec les pays partenaires.