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Colombo Emilio - 22 ottobre 1995
Jours de crise à l'ONU
par Afsané Bassir Pour

(Le Monde, samedi 21 octobre 1995)

Résumé: En mai, les Nations unies eurent à décider de l'opportunité de frappes aériennes en Bosnie. Le récit de ces journées prouve que les reproches -impuissance, irresponsabilité, passivité- faits à l'Organisation, qui célèbre ses cinquante ans, peuvent aussi être adressés aux pays membres.

ONU, institution hautement politique au service de la paix ou pure administration au service d'elle-même? "Le Grand Machin" du général de Gaulle erre souvent entre les deux, sans que l'on sache toujours si ses ratés sont dus aux lourdeurs administratives ou aux contradictions au sein de la communauté internationale, qui provoquent souvent des incohérences flagrantes. La crise bosniaque offre matière à réflexion, en ce qui concerne le partage des responsabilités, comme le montrent ces quelques jours dans la vie de l'ONU.

Il est 10 heures, vendredi 19 mai 1995: le secrétaire américain à la défense se présente à l'entrée du secrétariat de l'Organisation des Nations unies. En tant que ministre, William Perry aurait dû être accueilli par le chef du protocole. Mais, ce jour-là, Benita Maria Ferrere-Walden avait la tête ailleurs; elle venait d'être nommée vice-ministre des affaires étrangères de son pays et avait commencé à organiser son retour à Vienne. Il revint au numéro deux, l'Ukrainien Igor Novichenko, d'accueillir M. Perry, accompagné de l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, Madeleine Albright.

Au 37e étage du grand bâtiment, au département des opérations de maintien de la paix, ils sont attendus par le sous-secrétaire général chargé de ces opérations, le Ghanéen Kofi Annan. Tout le monde connaît l'objet de la visite des Américains. Les déclarations de Mme Albright ont été claires: il faut que l'ONU autorise des frappes aériennes contre les Serbes, qui ne cessent de harceler les "casques bleus" stationnés en Bosnie. Dans l'immeuble de verre, on se rappelle toutefois que les forces de Sarajevo ont été les premières à relancer les opérations militaires. Mais "Kofi", comme on l'appelle ici, est un homme calme; il s'énerve rarement.

William Perry frise la brutalité: "Quand allez-vous comprendre que le langage de la force est le seul que les Serbes comprennent?" "D'autant plus, ajoute-t-il, que les frappes aériennes ne mettraient pas en danger la vie des "casques bleus"; au contraire, cela signalerait aux Serbes qu'il ne faut pas humilier l'ONU." Kofi prend note. Il rappelle tout de même à ses interlocuteurs que de nombreux soldats de l'ONU sont vulnérables et exposés à une prise d'otages.

A 11 heures, William Perry et Madeleine Albright montent un étage. Ils y sont reçus par l'Égyptien Boutros Boutros-Ghali. Le secrétaire général des Nations unies et ses interlocuteurs ne sont d'accord que sur un point: "Il est vrai, reconnaît M. Boutros-Ghali, que la situation actuelle est intenable." "Mais, se défend-il, c'est parce que l'ONU en Bosnie souffre d'un mandat ambigu." Devinant les pensées des responsables onusiens, M. Perry avance: "Croyez-moi, si nous avions des soldats en Bosnie, je ne serais pas ici à suggérer le recours à la force, je l'exigerais." Ils se quittent sans que personne ait été convaincu par les arguments de l'autre.

Mercredi 24 mai, 10 heures: huis clos au 2e étage. Dans la salle du Conseil de sécurité, le général Bernard janvier, chef des "casques bleus" dans l'ex-Yougoslavie, confronté à quinze diplomates, ne mâche pas ses mots; il exige des instructions "claires, rapides et précises" sur le rôle des unités placées sous son commandement. Il explique que l'attitude de chacun, sur le terrain, rend son travail "impossible". Il prône le regroupement de ses soldats et leur retrait des enclaves musulmanes de Pest de la Bosnie. Le Conseil renvoie la balle au représentant du secrétaire général, l'indien Chinmaya Gharakhan, et lui demande... un rapport sur la situation avant la fin du mois.

NOUVEAU huis clos l'après-midi, au sous-sol cette fois. Le général Janvier fait figure d'accusé, face aux représentants des quarante pays contributeurs de "forces de la paix". L'ambassadeur de Turquie ouvre le feu: "L'absence d'une réaction musclée de l'ONU nourrit l'agression serbe en Bosnie, cela n'est pas acceptable", accuse Inal Batu. L'officier ne cache pas son agacement: "Depuis que je suis à New York, je n'entends que le mot "musclé"; je n'ai toujours pas compris ce que cela veut dire".

Le représentant de Nouvelle-Zélande, Colin Keating, passe à l'attaque; il considère comme "totalement inacceptable" que Yasushi Akashi, le représentant du secrétaire général, ait, "une fois de plus", refusé l'usage de la force, alors qu'une intervention a été demandée par le général britannique Rupert Smith, responsable des "casques bleus" en Bosnie. Le général Janvier l'interrompt pour clarifier "Un malentendu trop répandu: moi-même, je me suis opposé aux frappes aériennes, il n'est donc pas exact de dire que seul M. Akashi est responsable."

Un peu plus tard, le général Janvier doit essuyer le feu de l'ambassadeur américain, dans son bureau. Mme Albright parle en anglais, l'officier répond en français. Elle évoque "les erreurs et les faux calculs" en Bosnie. "A Washington, nous sommes tous extrêmement frustrés car, une fois de plus, les opportunités de recours à la force aérienne sont perdues." Le général rappelle que le dernier en date des cessez-le-feu a été rompu par les forces bosniaques. "Il est vrai, rétorque-telle, que les Bosniaques ne sont pas toujours des anges, mais dès qu'une victime de viol contre-attaque, vous l'accusez de créer des problèmes."

L'officier se cabre; citant un ouvrage littéraire, il assure que, "même en temps de guerre, le soldat n'a pas de pouvoir". La contre-attaque est immédiate: "Ce livre a sûrement été écrit par un soldat, mon général." Comme Mme Albright insiste sur le recours aux frappes aériennes, le général Janvier: "Ce que vous nous demandez, madame, c'est de faire la guerre aux Serbes. Est-ce que Washington est prêt à la faire ?"

Jeudi 25 mai. A 7 heures, l'ultimatum lancé aux Serbes pour qu'ils restituent à l'ONU quatre armes lourdes qu'ils avaient soustraites aux "centres de regroupement" des Nations unies dans la région de Sarajevo expire. Au téléphone avec le général Smith, le général Janvier finit, malgré ses réticences, par donner son accord pour des frappes aériennes.

Un peu plus tard dans la matinée, un homme fait les cent pas dans un grenier de Zagreb, au 4e étage d'un immeuble de la capitale croate. Yasushi Akashi, représentant spécial de Boutros Boutros-Ghali pour l'ex-Yougoslavie, rumine des idées noires. Son porte-parole, Fred Eckhard, entre dans la pièce. Il vient de voir à la télévision les images des premières frappes aériennes contre les Serbes, suivies d'interminables interviews d'"experts" et de responsables américains. "On ne voit que les Américains à l'écran. Il serait peut-être politiquement astucieux pour vous d'apparaître à l'antenne; comme vous avez été tellement critiqué pour avoir refusé les frappes aériennes, c'est le moment de dire que vous les avez autorisées", conseille-t-il à son patron. M. Akashi poursuit sa marche saccadée. Il finit par s'arrêter et regarde son porte-parole: "Je me prépare à des négociations pour la libération des otages. Croyez-vous vraiment qu'il soit sage de me montrer aux Serbes jubilant à la télévision?" "Quels ota

ges?", se demande Fred Eckhard, sans oser poser la question. Le diplomate japonais, lui, jugeant de la Bosnie comme on considère un damier, anticipait et préparait le coup suivant.

Ce même jour, le secrétaire général de l'ONU est à Houston, au Texas. Il planche devant les éminents membres du club de réflexion animé par l'ancien secrétaire d'État, James Baker. L'entourage de M. Boutros-Ghali est anxieux : la région n'est pas réputée pour son amour pour l'ONU. Tout se passe finalement bien; mais, au moment où le secrétaire général commence à se détendre, il apprend la prise en otage de "casques bleus" par les Serbes. Une conférence de presse est organisée. La réponse à la question qui ne saurait manquer d'être posée est promptement préparée: les "casques bleus" se trouvent dans une situation vulnérable parce que les États membres de l'ONU ont ignoré les appels du secrétaire général en faveur du regroupement des soldats de la paix. Mais la Bosnie n'est pas même évoquée par les participants.

VENDREDI 26 mai, New York, 2e étage du bâtiment IV de l'ONU. Dans la salle de presse, le porte-parole du secrétaire général, Ahmed Fawzi, explique aux journalistes que le nombre de "casques bleus" pris en otage a augmenté. Kofi Annan participe au même moment à une réunion urgente du Conseil de sécurité pour l'informer de la deuxième frappe aérienne contre les Serbes, qui a eu lieu le matin. Les premières représailles serbes -le bombardement de la ville de Tuzla- ont fait 71 morts et plus de 150 blessés. Aujourd'hui, le nombre de "casques bleus" capturés par les Serbes s'est élevé à 10. Quelque 80 observateurs de l'ONU sont enchaînés à des poteaux. "Pourquoi l'ONU n'a-t-elle pas pris de mesures pour protéger son personnel avant les frappes?", demande le correspondant de l'agence Reuter. "Je me pose la même question depuis ce matin, répond le porte-parole, mais je suis sûr qu'il doit y avoir des raisons." "Si les Serbes ne restituent pas leurs armes lourdes aux dépôts de l'ONU, l'ONU et l'OTAN feront-elle

s la guerre à un million de Serbes?", veut savoir la correspondante de la télévision de Belgrade, alias "Belgrade Betty". "Je rejette votre terminologie, réplique M. Fawzi avec exaspération. L'ONU ne fait pas la guerre en Bosnie."

Il est 19 heures lorsque le Conseil de sécurité se réunit. Boutros Boutros-Ghali ouvre le débat: "J'ai convoqué cette réunion urgente à la demande du président de la République française, Jacques Chirac, avec qui je viens d'avoir une longue conversation téléphonique. L'ONU a été prise en otage clans des circonstances humiliantes. Je suis ici devant vous pour vous demander conseil et voilà la question :faut-il ou non une troisième frappe aérienne contre les Serbes?" L'ambassadeur de Russie, Sergeï Lavrov, prend la parole pour rappeler que deux soldats russes figurent parmi les otages. Il n'en est pas moins hostile à une troisième frappe.

Vient le tour de l'Américaine Madeleine Albright. Elle assure comprendre l'inquiétude de la France; mais, pour elle, la décision quant à une éventuelle troisième frappe aérienne revient... au seul secrétaire général. "Je comprends, monsieur le secrétaire général, que vous vouliez connaître notre point de vue, mais, franchement, la décision vous appartient!" Le Britannique Sir David Hannay lui emboîte le pas: "Ni le Conseil de sécurité ni les pays contributeurs de troupes n'ont leur mot à dire sur ce sujet; il faut que le secrétaire général décide." L'ambassadeur de France, Jean-Bernard Merimée, très gêné, se souvient de l'insistance américaine pour que l'ONU frappe les Serbes. Mais, une fois les otages pris, tout le monde se défile. "La France exige que le mandat de l'ONU soit renforcé et, si la demande de la France n'est pas suivie dans des délais raisonnables, Paris sera obligé de retirer ses troupes de Bosnie", dit-il. Le secrétaire général conclut: "J'étais venu demander conseil; mais, malgré tou

tes les critiques publiques contre ma politique, vous me demandez de décider. J'en assume la responsabilité. Daccord, je prendrai moi-même la décision finale."

En sortant de la salle du Conseil, deux diplomates onusiens conversent: "Tu te rends compte? Ils ont renvoyé la balle à Boutros-Ghali, ce qui veut dire qu'il n'y aura plus de frappes. Est-il vraiment possible que personne n'ait réfléchi aux conséquences possibles des premières frappes?" Regard étonné de son interlocuteur: "Non, mais ça fait combien de temps que tu travailles à l'ONU? Tu parles comme si l'absence d'une politique à long terme des Etats membres était une révélation!" Il n'y a, effectivement, pas eu de troisième frappe aérienne.

Lundi 5 juin. Kofi Annan a devant lui, sur son bureau, deux listes: celle des 451 membres du personnel de l'ONU pris en otage et celle des ambassadeurs qui souhaitent le voir. En ce qui concerne la première, il se réjouit de constater que 232 otages ont déjà été libérés. Il regarde l'autre liste, interminable. Le défilé commence; Kofi Annan tente de rassurer les contributeurs de troupes sur le sort de leurs soldats. L'un des diplomates est particulièrement virulent. Avec seulement deux observateurs militaires en détention, l'ambassadeur du Brésil veut savoir pourquoi certains otages ont été relâchés et pas d'autres. Il "exige" de savoir "quelle combine se prépare" entre, par exemple, la France -dont 63 soldats viennent d'être libérés le jour même- ou le Canada -41 soldats relâchés la veille- et les Serbes... Pour lui, il est "inacceptable" que l'ONU "privilégie" certains pays et pas d'autres. Kofi Annan reste calme et assure son interlocuteur de l'absence de toute "combine". Le lendemain, les deux

Brésiliens sont libérés.

Vendredi 16 juin. A 3h30, le Conseil de sécurité adopte, sous la pression de la France et de la Grande-Bretagne, une résolution autorisant le déploiement en Bosnie d'une "Force de réaction rapide" destinée à appuyer et protéger les "casques bleus" sur place. La Russie et la Chine se sont abstenues. Lundi 19 juin, les derniers otages sont libérés par les Serbes. Réflexion d'un diplomate: "Au moins, l'humiliation de près de 500 "casques bleus" aura servi à quelque chose; ils [les États membres] ont finalement décidé de renforcer la Forpronu", ce qui permet, désormais, de préparer sérieusement de nouvelles actions contre les Serbes.

 
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