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Colombo Emilio - 4 marzo 1996
De la Polynésie à la Corse : vers "l'autonomie évolutive" ?
par Paul Cousseran

[Le Monde, vendredi 26 janvier 1996]

Résumé : D'après l'auteur -ancien préfet de la région Corse et ancien haut-commissaire de la République en Polynésie française- les départementalistes et les partisans du statu quo auraient eu vingt ans pour prouver la validité du statut actuel, et ils auraient échoué. Paul Cousseran propose pour la Corse une forme d'"autonomie évolutive", telle que celle qui est en train d'être accordée à la Polynésie française.

Ce n'est pas l'étalage par le FLNC d'un armement ultramoderne, lors de la "démonstration" du 11 janvier, qui doit surprendre : les moyens financiers obtenus par le racket, voire par le trafic de drogue, sont si importants que le FLNC pourrait s'acheter des canons et des chars d'assaut (il y en a à vendre un peu partout dans le monde sur le marché parallèle). Pour les mêmes raisons, le nombre de "guerriers" (quelques centaines), présentés aux journalistes, qui se sont rendus complices de la mascarade parce qu'elle "se vend bien", correspond grosso modo à l'effectif des opérateurs et des percepteurs du FLNC, payés au mois ou au pourcentage, tel qu'on le connaît depuis une quinzaine d'années.

Ce qui est beaucoup plus impressionnant, c'est la passivité, la complaisance de la population, le réseau très dense de complicités dont le FLNC et ses branches dissidentes bénéficient depuis longtemps au cour même de la population corse, au point de ridiculiser les forces de l'ordre et de démoraliser les fonctionnaires de l'Etat.

Il y a belle lurette que l'Etat est sourd et aveugle dans l'île. Peur des représailles ? "Omerta ?" Ces arguments ne tiennent pas. Aucune dénonciation, même anonyme, ne parvient à ses services.

Depuis trente ans, le "vertige identitaire" s'est emparé de la Corse comme de bien d'autres régions du monde (dans la naissance de ce culte de l'identité corse, la diaspora a joué, en parfaite inconscience, un rôle non négligeable). C'est le lot de toutes les îles, dotées par la nature de frontières évidentes et d'une personnalité spécifique.

Si les élites nous restent profondément attachées, il n'en est pas de même pour le reste de la population insulaire. Les "nationalistes" recueillent déjà 25 des voix aux élections régionales. Ils ont en partie colonisé les instances dirigeantes de nombreux syndicats ou associations. Et si on excluait du vote les Corses de la diaspora, on aurait des surprises.

Il est donc grand temps d'en finir. Les départementalistes et les partisans du statu quo ont eu vingt ans pour prouver la validité du statut actuel et marginaliser les indépendantistes. Ils ont échoué, en admettant qu'ils l'aient tenté sérieusement. La République doit donc en tirer les conséquences.

Abandonnons un instant la langue de bois. Nos amis insulaires ont versé un très lourd tribut lors des conflits mondiaux et des guerres coloniales. Poussés par la misère à l'émigration sur le continent et dans les colonies, ils ont peuplé l'armée de métier, l'administration, les douanes, la police, les services pénitentiaires. Mais le monde, la France et la Corse ont changé. La France du troisième millénaire n'a plus besoin de ce réservoir de sous-officiers et d'officiers, de fonctionnaires petits ou grands.

D'ailleurs, si la Corse est toujours aussi pauvre, ses habitants sont de plus en plus à l'aise. Malgré un gaspillage certain et beaucoup de pertes en ligne, les sommes considérables injectées par l'Etat dans ce pays, les prestations distribuées à tout va ont fini par provoquer des résultats. Le revenu moyen par tête, le capital-épargne sont parmi les plus élevés de France ; le parc automobile est rutilant. Le financement par l'Etat d'une infrastructure remarquable, la démocratisation des sports nautiques et de la planche à voile, la télévision, ont effacé la rudesse originelle du pays. Du coup, l'île n'exporte plus ses enfants.

Si la Corse partage avec la France continentale d'émouvants souvenirs, ce grand passé s'éloigne. D'un point de vue strictement stratégique, la Corse a perdu sa valeur. Ce qui pouvait constituer, au temps de la marine à voile, un poste avancé, ou un brûlot à proximité de nos côtes, ne pèse plus lourd au temps des missiles intercontinentaux et de la "guerre des étoiles". Bref, et si l'on fait abstraction des sentiments, la Corse, pour la République, n'a plus d'"importance". Les Français le savent bien qui, selon les sondages, lui donneraient massivement l'indépendance en cas de référendum.

Cela dit, si les Corses veulent et peuvent se gouverner eux-mêmes (en admettant qu'ils parviennent à se gouverner "les uns et les autres", ce qui est une autre affaire...), et surtout à leur manière (qui n'est pas la nôtre), ils souhaitent garder le passeport français, l'usage de notre solide monnaie, la protection de notre armée, et ils espèrent bien continuer à bénéficier de l'aide des contribuables français. Les nationalistes corses eux-mêmes ne veulent pas nous quitter. Ils veulent tout au plus... disposer librement de notre argent.

Il faut trouver un statut qui concilie tout cela. Or ce statut existe : il va être voté dans quelques semaines en faveur d'un autre pays insulaire : la Polynésie française. La Polynésie qui a son hymne et son drapeau, son protocole, qui pratique le bilinguisme officiel, qui entretient déjà avec la France des rapports de type contractuel, ne sera plus un "territoire d'outre-mer" mais une collectivité sui generis dotée d'une "autonomie évolutive" (le terme est en toutes lettres dans le projet de loi).

Son statut, distinguant souveraineté et domanialité, donne aux Polynésiens la propriété de leurs lagons mais aussi du sol et du sous-sol de leurs eaux territoriales. Il autorise son gouvernement à négocier librement certains accords internationaux, à gérer les droits aériens, les télécommunications, etc. Bref, le législateur s'apprête à aller jusqu'à l'extrême limite au-delà de laquelle se fermerait le tiroir-caisse. La République, autrefois une et indivisible, va devenir une sorte d'Etat fédéral avant la lettre. La Polynésie crée donc le précédent d'un pays français mais quasi indépendant (précédent qui va être probablement utilisé en Nouvelle-Calédonie). C'était le prix à payer pour que nos amis Océaniens restent "dans la France". Pourquoi ne pas appliquer ce statut à la Corse ? Il lui irait comme un gant. L'Etat prendrait ainsi de la distance et de la hauteur. Il ne serait plus ridiculisé quotidiennement, sa réputation ne serait plus éclaboussée comme à l'heure actuelle par des pratiques locales contrai

res à la morale et à l'honneur national.

Puisque le cadre juridique adéquat va être créé, rien n'interdit de l'appliquer à la Corse. Certes, si la Corse est géographiquement parlant un "territoire français de l'outre-mer", elle n'est pas un TOM. Il faudra donc amender la Constitution. Mais celle-ci, depuis le départ des départements français d'Algérie, depuis la disparition de la Communauté, en a vu bien d'autres. Que les départementalistes se rassurent : la Corse, n'ayant pas de pétrole, ne risque pas de faire sécession. Elle ne quittera pas sa mère nourricière. Elle coûte bien trop cher pour trouver dans le monde des mécènes plus généreux que nous.

Le fait insulaire est une réalité très forte. Les îles sont par essence "autonomes". Personne n'en est propriétaire, et leur appartenance à un ensemble plus vaste découle d'un libre choix. Comme la Polynésie, la Corse a eu maintes occasions de nous quitter : en 1815, en 1870, en 1940. Elle ne l'a pas fait, alors qu'à l'époque, la France ne lui apportait pas le quart de ce qu'elle y réalise aujourd'hui. Comme pour la Polynésie, ce lien profond, historique, ne doit pas nous inciter à nous crisper sur le système actuel, mais doit nous pousser au contraire à imaginer un statut audacieux, conciliant l'appartenance à la France et l'autonomie.

 
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