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Conferenza Federalismo
Colombo Emilio - 21 marzo 1996
Plus d'Europe, moins d'Amérique
par André Fontaine

[Le Monde, dimanche 17 - lundi 18 mars 1996]

LE 19 SEPTEMBRE 1946, il y a donc un demi-siècle, Churchill prononçait à Zurich un discours aussi retentissant que celui que lui avait inspiré, six mois plus tôt, le sinistre "rideau de fer". "Si les pays européens parvenaient à s'unir -déclarait-il entre autres- leurs trois cents à quatre cents millions d'habitants connaîtraient, par le fruit d'un commun héritage, une prospérité, une gloire, un bonheur qu'aucune borne, aucune frontière ne limiteraient [...]. Il nous faut ériger quelque chose comme les Etats-Unis d'Europe..."

D'Etats-Unis d'Europe, il n'est plus question aujourd'hui, et le "Comité d'action" créé par Jean Monnet, avec le concours d'un grand nombre d'hommes publics de tendances et de nationalités diverses pour en faciliter l'avènement, à même fait disparaître le terme de sa raison sociale. Il existe, en revanche, comme chacun sait, une Union européenne (UE), forte de quinze membres, et appelée à s'élargir dans les années qui viennent à un nombre presque égal de candidats. Ses structures présentes n'ont que peu changé depuis l'époque où les Communautés ne se composaient que de la France, de l'Italie, de la RFA et des Pays du Bénélux. Elles ne sont pas adaptées à un tel changement de dimensions.

A s'en tenir à la pratique actuelle, il faudrait par exemple admettre, dans l'hypothèse où l'UE regrouperait trente pays, que le nombre des membres de la Commission devrait passer de vingt à trente-cinq et celui des parlementaires européens de six cent vingt-six à plus de mille ; et qu'avec le système de la présidence tournante de six mois, le tour de chaque membre ne viendrait que tous les quinze ans.

Comment, dans ces conditions, le Conseil des Ministres et la Commission pourraient-ils jouer le rôle moteur dont l'Union européenne a tant besoin si elle ne veut pas sombrer dans le ronron bureaucratique ou se limiter à n'être qu'une zone de libre-échange parmi d'autres ? C'est cette constatation qui a conduit les négociateurs de Maastricht à prévoir la réunion en 1996 d'une conférence intergouvernementale, la "CIG", appelée à procéder à un examen général des politiques et des formes de coopération "en vue d'assurer l'efficacité des mécanismes et institutions communautaires". La conférence va se réunir à Turin à la fin de ce mois. Comme le constatent une série de personnalités rassemblées au sein du Club de Florence dans un livre, préfacé par Jacques Delors, qui vient de paraître, "si elle ne prend pas les problèmes à bras-le-corps, la réalité se vengera, mettant en péril l'acquis de quarante années de patients efforts" (Europe : l'impossible statu quo, Stock). Qui, en dehors d'un petit cercle de spécialis

tes et de militants, en a seulement conscience ? A voir les textes dont elle est saisie, y compris le compromis récemment négocié entre le ministre français des affaires étrangères, Hervé de Charrette, et son homologue allemand Klaus Kinkel, tout donne à penser que les participants se contenteront, comme tant d'autres avant eux, de ce qu'une observatrice patentée, Amaya Bloch-Lainé, appelle un "bricolage institutionnel".

L'opinion a beau passer pour se désintéresser de tout ce qui est politique étrangère, elle a montré, au moment du référendum sur Maastricht, qu'elle était tout a fait capable de se passionner pour -ou contre- l'Europe. Encore faut-il lui en montrer les enjeux.

Le président de la République à su exposer avec beaucoup de clarté son projet de réforme de la défense nationale. Ne pourrait-il, avant Turin, exposer de la même manière ses vues sur l'Europe ? Il a bien déclaré à Time qu'elle constituait l'objectif prioritaire de son septennat.

Au lendemain de la réunification, François Mitterrand et Helmut Kohl ont fait le choix d'avoir "plus d'Europe", y voyant le seul moyen d'éviter d'avoir, selon la forte formule de Michael Stürmer, directeur d'une fondation de sciences politiques d'outre-Rhin, "plus d'Allemagne". Mais la formule n'a de sens que si elle implique une définition des rapports de l'Europe en question avec l'Amérique. Jacques Chirac le sent bien qui a repris à son compte, il y a quelque temps, l'idée jadis vendue par Monnet à John Kennedy d'installer de ce côté-ci de l'Océan un "second pilier" de l'Alliance atlantique.

Maintenant qu'après trente ans de divorce il a normalisé, comme seul un gaulliste pouvait le faire, les relations de la France avec l'OTAN, il serait grand temps qu'il nous dise ce qu'il entend par là, ce qui aurait entre autres pour effet de remettre à leur vraie place les débats en cours sur la monnaie unique, d'une part, l'identité européenne de défense, de l'autre. La justification de l'une comme de l'autre ne peut résulter, en effet, que d'une ambition d'autonomie par rapport au grand protecteur. Comment vouloir "plus d'Europe" si l'on ne veut pas en même temps "moins d'Amérique" ?

Pourquoi s'engager dans cette voie, dira-t-on, alors que tant d'Européens, notamment à l'est du continent, où l'on redoute toujours, à plus ou moins longue échéance, un retour offensif du "grand frère", voudraient avant tout s'assurer que les Américains sont là pour longtemps ? Eh bien, tout d'abord, précisément, parce que dans le monde où nous sommes, on n'est jamais sûr de rien.

Sans doute un véritable isolationnisme est-il hors de question. Mais qui peut dire ce que feraient les Etats-Unis si le processus de paix en ex-Yougoslavie, par exemple, tournait court ? Dès à présent, la façon dont il faudra quitter la Bosnie est devenue, à en croire le Washington Post, un sujet "très inconfortable" pour l'OTAN.

Lorsqu'à l'été 1958 de Gaulle adressa à Washington et à Londres un "mémorandum" fort explosif sur la réforme de l'Alliance, il était mu essentiellement par le souci de mettre la France à l'abri de deux dangers opposés : celui d'être entraînée -par exemple, dans le détroit de Formose- dans une guerre qui ne la concernait pas directement ; celui que l'Amérique ne vienne pas à son aide en cas de chantage ou d'agression soviétique. Le premier de ces risques a sans doute disparu, mais qui nous garantit que la Russie de demain et d'après-demain, avec ses moyens militaires énormes, restera éternellement pacifique ?

En tout état de cause, la tendance actuelle, outre-Atlantique et en bien d'autres endroits, est à donner une priorité absolue à l'intérêt national. C'est assez pour éveiller notre vigilance, car rien ne nous garantit que cet intérêt coïncide avec le nôtre. Il suffit de se souvenir des bagarres sur le soja, ou de la concurrence acharnée dans l'aéronautique, l'électronique, l'informatique.

Rappeler les objectifs

La raison d'être de l'Union des Quinze, c'est d'abord d'avoir assez de poids pour résister à la pression écrasante de ce qui reste, et de loin, la première puissance économique du monde. La première puissance culturelle aussi, et qui pousse d'autant plus au nivellement qu'elle rencontre un peu partout un terrain extraordinairement favorable. Là également, les Européens ne sauraient parler d'Union si elle ne les aidait pas à demeurer eux-mêmes, avec leur diversité, la pluralité de leurs langues, de leurs mémoires, de leurs littératures.

La "CIG" peut délibérer interminablement sur les procédures de vote requises pour déterminer les cas où aurait lieu de s'appliquer la PESC, la politique étrangère et de sécurité commune prévue par le traité de Maastricht, les échanges sur les "critères de convergence" requis pour la monnaie unique peuvent se poursuivre à l'infini, les chefs militaires peuvent discuter de cette "dissuasion concertée" à laquelle ils sont si peu à croire, rien de sérieux ne sera accompli qui soit de nature à remobiliser l'opinion en faveur de la construction européenne si l'on ne parvient pas d'abord à en rappeler les objectifs de manière convaincante.

Bien sûr, ce serait totalement manquer de réalisme que de s'imaginer qu'un consensus pourrait se manifester sur ces sujets entre les Quinze. Mais, comme dans la ferme d'Orwell, il y a tout de même des Européens qui sont plus Européens que d'autres. Que l'on parle de noyau dur ou de système à plusieurs vitesses, c'est de la capacité de ceux-là à repartir hardiment de l'avant que dépend non plus seulement l'avenir, mais la survie de l'ensemble.

 
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