[Libération, jeudi 28 mars 1996]Résumé : A la veille de la conférence de Turin, qui ouvre une nouvelle étape de la construction européenne, le chef de la diplomatie britannique présente son projet.
La Grande-Bretagne veut un partenariat entre nations
par Malcolm Rifkind, ministre des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne
Le gouvernement britannique a publié le 12 mars son livre blanc sur la conférence intergouvernementale, Un partenariat entre nations. Il y affiche l'esprit positif et cohérent dans lequel il aborde la prochaine étape de la construction européenne.
La Grande-Bretagne est résolue à faire de l'Union européenne un succès et à y jouer un rôle clé. Elle a bataillé en première ligne pour mettre en place un marché unifié, ouvert à l'intérieur et ouvert sur le monde. Ce marché unique a donné un coup de fouet aux échanges et créé un appel d'air pour les capitaux extérieurs. Tous les Etats membres en éprouvent les bienfaits.
Mais l'Union n'est pas seulement un marché unique. C'est une puissante force de paix et de stabilité : le socle sur lequel nous appuyer pour panser les plaies de la guerre froide : Son élargissement est aujourd'hui une responsabilité historique, qui sera bénéfique, à terme, pour tous ses membres. Il suppose des changements, tant en matière agricole et régionale que sur le plan des institutions. Mais il devra être au cour de la conférence intergouvernementale.
L'Union européenne, malgré ses avancées, est aujourd'hui en proie à l'incertitude et au doute. Le processus de ratification du traité de Maastricht a fait apparaître un malaise dans l'opinion, que nous nous devons tous de prendre en compte si nous voulons, à l'instar du gouvernement britannique, voir l'Union se réaliser pleinement. Or cette inquiétude s'est fait jour au moment où l'Europe est au cour d'enjeux internationaux majeurs, comme l'élargissement et la stabilisation de la Russie ; la création d'emplois face à la concurrence, entre autres, du pourtour pacifique ; ou la lutte contre le terrorisme et le crime international.
La CIG sera l'occasion pour l'Europe de relever le gant. Mais elle devra pour ce faire donner à l'Union un visage qui puisse lui valoir partout l'adhésion des peuples. C'est en respectant les pouvoirs et responsabilités des Etats-nations qui la composent, en s'en tenant invariablement aux domaines d'intervention de son strict ressort, et en apportant ce "mieux d'Europe" qu'appelle Jacques Santer de ses voeux que l'Union gagnera les cours.
Le Royaume-Uni a des idées constructives et concrètes à proposer dans ce sens. Nous avons, par exemple, des formules à suggérer pour améliorer l'action du législateur : consolider le principe de subsidiarité ; mieux associer, par la concertation préalable, les Parlements nationaux et les principaux acteurs économiques aux propositions de la Commission ; et garantir l'application effective des textes. Le Royaume-Uni a également des propositions à faire concernant la Cour européenne de justice. Nous défendons ardemment l'existence d'une juridiction indépendante forte. Nous avons toujours été à la pointe du combat pour le respect des textes et nous nous battons pour garantir l'application uniforme du droit communautaire. Mais toutes les institutions sont perfectibles, et le fonctionnement de la Cour européenne demande à être amélioré, compte tenu des inquiétudes légitimes qu'ont pu susciter certains de ses arrêts et leurs retombées.
Nous ne manquons pas d'idées concrètes non plus pour conforter la politique étrangère et de sécurité commune. Nous sommes tout à fait partisans de voir les Etats membres parler d'une seule voix et agir de concert sur la scène mondiale, pour peu que leurs intérêts se rejoignent. L'Union a tout à y gagner, et nous aussi. Mais nous ne croyons pas qu'on fera naître des intérêts communs par le simple jeu d'une modification du mode de décision en Conseil. Une politique majoritaire ne saurait tenir lieu de politique commune.
Le gouvernement britannique entend donner aux Parlements nationaux un rôle accru dans le processus décisionnel, car ils constituent le creuset de la légitimité démocratique dans l'Union. C'est à eux que rendent compte les ministres siégeant en Conseil. La Grande-Bretagne examine plusieurs formules possibles pour les associer plus étroitement aux décisions :leur garantir un délai minimum d'examen des textes communautaires en projet avant adoption, et leur donner davantage voix au chapitre en matière de justice et d'affaires intérieures.
C'est dans le même souci d'éviter que les citoyens ne se sentent dépossédés de la faculté d'exercer leur contrôle démocratique que nous nous opposerons à toute nouvelle centralisation. Il ne saurait être question, par exemple, de faciliter le passage en force : on ne balaye pas du revers de la main les objections de ceux pour qui un sujet revêt une sensibilité particulière. C'est pourquoi nous nous opposerons à toute extension du vote à la majorité qualifiée.
On dit souvent que l'unanimité dans une Communauté élargie à vingt ou plus, c'est la paralysie assurée. Mais cet argument ne tient pas à l'analyse. Les Etats membres ne se laisseront jamais mettre en échec sur les questions qui leur tiennent le plus à cour. En même temps, le vote à la majorité est déjà la règle dans les domaines où il s'agit de gérer les affaires courantes, au jour le jour. Il est donc fallacieux de prétendre que l'élargissement est condamné sans extension du vote à la majorité qualifiée. Nous nous opposerons par ailleurs à un élargissement des compétences de la Communauté. Nous nous réjouissons donc que le président de la Commission ait affirmé qu'il ne chercherait pas à étendre ses compétences à la faveur de la conférence intergouvernementale.
Nous voulons également obtenir une modification du vote à la majorité, qui lui confère davantage de légitimité démocratique. Comme bien d'autres Etats membres, nous ne croyons pas que la balance actuelle des pouvoirs, censée rendre compte -entre autres grands paramètres- du poids démographique et de la souveraineté propre de chacun, soit bonne. Il faut rétablir l'équilibre, surtout dans la perspective de l'élargissement.
L'approche britannique répondra avant tout à l'idée très concrète que nous nous faisons de l'évolution de l'Europe en un partenariat entre nations. La CIG doit rendre aux Européens le sentiment que l'Union reste un instrument à leur service et non une atteinte à leur indépendance. Guidés par ce souci, nous aurons tous les atouts en main pour faire avancer ensemble la construction européenne - améliorer l'efficacité des politiques communes, rapprocher l'Union de ses citoyens et la préparer à son élargissement futur.