AMNESTY INTERNATIONAL
Index AI: ACT 50/07M6
DOCUMENT EXTERNE
Londres, juillet 1996
ABOLITION DE LA PEINE DE MORT DANS LE MONDE: EVOLUTION EN 1995
Résumé
En 1995, l'Espagne, Maurice et la Moldavie ont aboli la peine de mort pour tous les crimes, ce qui, à la fin de l'année, portait le nombre des pays abolitionnistes pour tous les crimes _ 57. La Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud a pris, en @ 1995, une décision très importante en déclarant que la peine capitale pour les crimes de droit commun n'était pas compatible avec la Constitution intérimaire, entrée en vigueur en avril 1994. Le présent document fait état d'autres progrès réalisés à travers le monde, concernant notamment les pays où des projets de loi visant à abolir la peine de mort étaient en discussion, ainsi que les pays ayant instauré un moratoire sur les exécutions ou prolongé celui déjà existant
On trouvera également dans différents chapitres de ce document des précisions sur les pays[états qui ont rétabli la peine de mort ou élargi son champ d'application, ainsi que les résultats de sondages d'opinion effectués dans plusieurs pays. Sont en outre ici résumés deux textes importants: le troisième rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires présenté à la Commission des droits de l'homme de l'ONU et le cinquième rapport quinquennal des Nations unies sur la peine capitale. Enfin, le présent document fournit des renseignements sur les nouveaux états parties aux traités internationaux relatifs à la peine de mort, des chiffres concernant le nombre des sentences capitales et des exécutions, ainsi que deux tableaux faisant apparaître les tendances enregistrées en ce domaine depuis le début des années 80.
ABOLITION DE LA PEINE DE MORT DANS LE MONDE: EVOLUTION EN 1995
SOMMAIRE
1. L'abolition de la peine de mort page 2
2. Les moratoires sur les exécutions page 6
3. Les avancées relatives aux projets de loi page 8
visant à abolir la peine de mort
4. Le rétablissement de la peine de mort page 9
5. L'extension du champ d'application
de la peine de mort page 9
6. Les sondages d'opinion page 11
7. L'évolution au niveau des
organisations intergouvernementales page 13
8. Le rapport quinquennal des Nations unies
sur la peine capitale page 14
9. Les nouveaux Etats parties aux traités
internationaux relatifs à la peine de mort page 15
10. Condamnations à mort et exécutions page 17
1. L'abolition de la peine de mort
* La décision de la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud (1)
Le 6 juin 1995, la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud a pris une décision historique en déclarant que la peine de mort pour les crimes de droit commun telle que prévue aux termes de la Loi relative à la procédure pénale était incompatible avec la nouvelle Constitution intérimaire, entrée en vigueur en avril 1994. La Cour a fait savoir qu'il
"[était] interdit à l'Etat et à tous ses organes d'exécuter quiconque [avait] déjà été condamné à mort en vertu de quelque disposition que ce soit, [toute disposition précédemment invoquée] étant de ce fait déclarée caduque",
et que cette décision était immédiatement exécutoire. (2)
La peine de mort a été déclarée contraire à la Constitution intérimaire à divers titres, et après examen approfondi d'un grand nombre de questions (3). Dix des onze juges ont conclu que la peine capitale constituait une "peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant". En outre, huit juges ont estimé que la peine de mort bafouait le droit à la vie; l'un d'eux a même déclaré qu'à son avis ce seul motif suffisait à clore le débat. Quatre des juges ont insisté sur le fait qu'il y avait également eu violation du droit à la dignité. L'un des onze juges a par ailleurs affirmé que la peine de mort violait le droit à l'égalité.
Après que la Cour constitutionnelle eut examiné la question de savoir si la peine de mort constituait une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, le président, Arthur Chaskalson, a conclu:
"... dans le cadre de notre Constitution, la peine de mort est assurément un châtiment cruel, inhumain et dégradant [...] [L'exécution de la sentence capitale] détruit la vie, laquelle est protégée sans réserve par l'article 9 de notre Constitution. Elle supprime la dignité de la personne humaine, qui est garantie par l'article 10. Elle est entachée d'arbitraire et elle est irréversible." (4)
En parvenant à cette conclusion, le président et les autres membres de la cour ont mis l'accent sur les différentes raisons pour lesquelles l'exécution de la peine capitale est un châtiment arbitraire et irrationnel. Bien que l'on puisse espérer que des progrès soient réalisés concernant l'accès à la justice pour tous les Sud-Africains, le président de la cour a fait observer:
"... les ressources financières et humaines disponibles sont limitées, situation qui risque de perdurer dans l'avenir proche et qui continuera à désavantager grandement les accusés pauvres qui doivent se défendre dans des affaires où ils encourent la peine capitale..." (5) On ne peut nier, a-t-il ajouté, que "la pauvreté, la race et le hasard jouent un rôle dans l'issue d'une affaire susceptible d'entraîner la peine de mort, ainsi que dans la décision finale portant sur qui doit vivre et qui doit mourir". (6)
D'autres membres de la cour, exprimant des opinions convergentes, ont attiré l'attention sur l'article 9 de la Constitution intérimaire, qui dispose que "toute personne doit bénéficier du droit à la vie". Expliquant pourquoi il insistait sur ce droit, le juge Langa a fait référence aux "expériences récentes de [son] peuple dans ce pays". Il a notamment déclaré:
"L'histoire de ces dernières décennies a été marquée par le fait que les valeurs de la vie et de la dignité humaine ont été bafouées. Des facteurs politiques, sociaux et autres ont créé un climat de violence qui a engendré une culture de vengeance et de représailles. Les principales victimes de ce processus ont été le respect de la vie et de la dignité inhérente à toute personne." (7)
Les membres de la cour ont conclu que la peine de mort est, de prime abord, une atteinte au droit à la vie. Ainsi que l'a déclaré le juge Sachs:
"L'Etat est lié par les termes inconditionnels et dépourvus d'ambiguïté [de l'article 9] ... qui, à première vue, interdisent le recours à la peine capitale." (8)
Les juges se sont demandés si le droit à la vie pouvait être restreint, aux termes de l'article 33 de la Constitution intérimaire, au motif par exemple que la peine de mort est "raisonnable" et "nécessaire" en tant qu'unique moyen de dissuasion pour lutter contre les crimes de sang. L'étude des arguments relatifs à cette question a amené les juges à reconnaître la gravité du problème:
"La nécessité de disposer d'un moyen de dissuasion efficace contre les crimes de sang constitue un objectif dont il n'est pas question de remettre en cause la validité. Il est évident que l'Etat est en droit, et même obligé, de prendre des mesures pour protéger la vie humaine contre toute violation [...] Dans notre pays, les crimes de sang ont pris des proportions alarmantes." (9)
La cour ne s'est toutefois pas rendue à l'idée selon laquelle l'augmentation du nombre de crimes de sang enregistrée dans le pays au cours des cinq dernières années était la conséquence du moratoire sur les exécutions que le précédent gouvernement avait, le premier, imposé. Les juges ont fait valoir que la hausse du taux de criminalité avait débuté avant l'annonce du moratoire et qu'au cours de la période de moratoire les tribunaux avaient continué de prononcer des sentences capitales. Ils ont en outre souligné que le moratoire pouvait prendre fin à n'importe quel moment et que, de ce fait, les criminels n'avaient aucunement l'assurance d'échapper à la peine de mort. (10)
L'avocat Klaus von Lieres, alors procureur général de la région du Witwatersrand, a lui-même admis devant la cour:
"... rien ne prouve que la peine de mort soit effectivement un moyen de dissuasion plus efficace que la réclusion à perpétuité. C'est là quelque chose qu'on ne peut prouver, car on n'entend jamais parler des personnes qui ont été sensibles à la dissuasion; on ne connaît que celles qui ne l'ont pas été, et qui ont commis des crimes horribles." (11)
La cour a fait remarquer que la recrudescence des crimes de sang avait notamment eu lieu dans un contexte de grands bouleversements politiques, de conflits et de mutations sociales. Le président de la cour a conclu:
"Ce serait nous mentir à nous-mêmes que de penser que l'exécution de quelques personnes condamnées à la peine capitale durant cette période [1990-1995], ainsi que la mise à mort d'un nombre relativement moindre d'autres personnes chaque année à partir d'aujourd'hui, sont susceptibles de résoudre le problème d'un taux de criminalité qui dépasse les limites de l'acceptable. Il y aura toujours des gens instables, désespérés ou malades qui ne seront pas dissuadés par le risque d'être arrêtés et emprisonnés, mais rien ne prouve que la décision d'exécuter les sentences capitales ait une quelconque influence sur le comportement de ces personnes, ou qu'elles seront plus nombreuses si la seule sanction est l'emprisonnement [...] Le plus grand moyen de dissuasion face au crime tient au degré de probabilité de l'arrestation, de la condamnation et du châtiment des criminels. C'est ce qui manque aujourd'hui dans notre système de justice pénale, et c'est à ce niveau-là et en cherchant à s'attaquer aux causes de la crimina
lité que l'Etat doit s'efforcer de lutter contre l'anarchie." (12)
Le juge Kriegler a fait observer pour sa part: "Au bout du compte, aucune approche empirique, aucune étude statistique n'a permis de démontrer que la peine capitale constituait un moyen de dissuasion plus efficace qu'une peine d'emprisonnement vraiment lourde. Telle est l'inéluctable conclusion qu'il faut tirer de la masse de données minutieusement examinées dans les arguments, oraux ou écrits, qui nous ont été soumis [...] Il n'est tout simplement pas raisonnable d'approuver l'exécution judiciaire sans savoir si celle-ci présente une valeur dissuasive quelconque." (13)
Il convient de noter que la cour ne s'est pas prononcée sur la condamnation à mort pour trahison lorsque la République est en guerre.
La décision du 6 juin 1995 de la Cour constitutionnelle a provoqué de vives réactions, qui ont pris la forme d'articles de journaux, d'éditoriaux et de lettres adressées à la presse. L'inquiétude de l'opinion publique face aux crimes de sang s'est traduite par des appels au maintien de la peine capitale, invoquant aussi bien le motif de la dissuasion que celui du châtiment. Plusieurs sondages ont fait apparaître que, si la décision lui en était laissée, l'opinion publique maintiendrait la peine de mort (cf. chapitre 6 plus bas). De plus, certaines personnes ont mis en question le droit des juges de la Cour constitutionnelle à décréter l'abolition de la peine de mort, alors que le public est favorable à son maintien. Le National Party (NP, Parti national), soutenu par quelques autres formations politiques, a appelé à l'organisation d'un référendum sur le sujet, mais cette demande a finalement été rejetée par l'Assemblée nationale du Parlement sud-africain en juin 1996. La question n'en a pas moins continué d'
être soulevée lors des discussions relatives à la version définitive de la Constitution sud-africaine.
Avant la suspension du recours à la peine capitale en février 1990, l'Afrique du Sud avait l'un des taux d'exécutions judiciaires les plus élevés du monde. Ainsi, entre 1981 et 1990, plus de 1.100 exécutions ont été signalées. Les 453 prisonniers qui se trouvaient sous le coup d'une condamnation à mort au moment où la cour a rendu sa décision le 6 juin 1995 ont été maintenus en détention en attendant que leur sentence soit réexaminée par le tribunal de première instance qui les avait condamnés à mort.
* L'Espagne aboli la peine de mort pour tous les crimes
Le 28 novembre, un texte de loi signé par le roi et supprimant la peine de mort du Code de justice militaire a été publié au journal officiel, le Boletin Oficial del Estado, faisant de l'Espagne un pays totalement abolitionniste. Le 15 novembre, le Sénat avait approuvé la proposition de loi à l'unanimité. L'Espagne est le dernier en date d'une série de pays qui, ayant aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun, ont franchi l'étape décisive consistant à l'abolir pour tous les crimes.
La peine de mort a été appliquée dans ce pays sans discontinuer jusqu'en 1932, sous la Seconde République; elle fut alors abolie pour les infractions de droit commun dans le cadre de la réforme du Code pénal. En 1938, le gouvernement dirigé par le général Franco l'a rétablie pour le meurtre et d'autres crimes de droit commun. Les dernières exécutions remontent au 17 septembre 1975: ce jour-là, cinq hommes reconnus coupables de meurtre sur la personne d'agents de la force publique ont été fusillés. En décembre 1978, trois ans après la mort du général Franco, une nouvelle Constitution a été adoptée par référendum. Elle abolissait la peine de mort pour les infractions commises en temps de paix, mais la maintenait pour les crimes perpétrés en temps de guerre relevant du Code de justice militaire.
Pendant des années, des groupes d'Amnesty International, entre autres, ont fait pression sur les parlements des dix Communautés autonomes d'Espagne afin qu'ils adressent des pétitions en faveur de l'abolition au Parlement central (Cortes), composé du Congrès des députés et du Sénat. En 1986, des députés ont présenté une motion demandant que la peine de mort soit supprimée du Code de justice militaire, mais ils n'ont pas obtenu gain de cause. En novembre 1994, cependant, le Sénat a adopté à l'unanimité une requête demandant au gouvernement d'abolir la peine de mort. Le 25 avril 1995, le Congrès des députés a approuvé trois textes préparatoires relatifs à l'abolition, textes qu'il a, le 18 septembre, regroupés en une seule proposition de loi. C'est cette proposition de loi qui, après approbation définitive du Sénat, a été signée par le roi. Un formidable consensus s'est manifesté au sein de la classe politique pour la cause abolitionniste: aucune voix ne s'est exprimée contre l'abolition lors de la dernière sé
ance de vote, pas plus au Congrès qu'au Sénat.
* L'Ile Maurice devient totalement abolitionniste
Le 3 août 1995, l'Assemblée nationale - le Parlement de l'Ile Maurice - a adopté à une large majorité un projet de loi prévoyant l'abolition de la peine de mort pour toutes les infractions et remplaçant ce châtiment par une peine statutaire de vingt ans de réclusion. Le président Cassam Uteem a cependant renvoyé le projet non signé, afin que de plus amples débats aient lieu sur la durée de la sentence. Au mois de novembre, le projet de loi a de nouveau été soumis à l'Assemblée nationale et la peine statutaire a été portée à trente ans. A l'issue d'un second vote, le président a signé le projet le 28 novembre 1995, lui donnant ainsi force de loi.
Depuis 1984 - date à laquelle le pays a procédé à sa première exécution depuis plus de vingt ans -, la section mauricienne d'Amnesty International s'est beaucoup investie dans l'action en faveur de l'abolition. Lors des débats à l'Assemblée nationale, de nombreux députés avaient en main les rapports d'Amnesty International, et ils ont rendu hommage au travail accompli par l'Organisation.
* Le Parlement moldave se prononce en faveur de l'abolition
Lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, le 13 juillet, la Moldavie s'est engagée à décréter un moratoire immédiat sur les exécutions, en attendant que la peine capitale soit totalement abolie (cf. chapitre 3 plus bas). Le 8 décembre 1995, le Parlement moldave a voté à l'unanimité la suppression de la peine capitale dans le Code pénal et son remplacement par une peine comprise entre vingt-cinq ans de réclusion et la réclusion à perpétuité. A la date de l'abolition, au mois de décembre, au moins 21 personnes se trouvaient sous le coup d'une condamnation à mort.
La dernière exécution effectuée en Moldavie remontait à 1990, à une époque où le pays faisait encore partie de l'Union soviétique
2. Les moratoires sur les exécutions
Plusieurs pays européens ont décrété un moratoire sur les exécutions. A l'origine, quatre de ces pays étaient non abolitionnistes, c'est-à-dire qu'ils prévoyaient la peine de mort pour les crimes de droit commun et procédaient à des exécutions. L'un d'entre eux est, depuis, devenu abolitionniste, et un autre est abolitionniste de fait (cette appellation s'applique aux pays et territoires dont la législation prévoit la peine de mort pour les crimes de droit commun, mais qui peuvent être considérés comme abolitionnistes de fait parce qu'ils n'ont procédé à aucune exécution depuis au moins dix ans, ou parce qu'ils se sont engagés, au niveau international, à ne procéder à aucune exécution).
* Bulgarie (non abolitionniste)
Le moratoire sur les exécutions adopté à l'unanimité le 20 juillet 1990 par la Septième Haute Assemblée nationale (le Parlement bulgare) est toujours en vigueur.
* Pologne (non abolitionniste)
Un moratoire officiel de cinq ans sur les exécutions a été instauré à l'issue d'un vote effectué le 9 juin dans la Chambre basse du Parlement (la Diète ou Sejm). Le texte d'un projet de loi visant à abolir la peine capitale a également été approuvé (cf. chapitre 3 plus bas).
* Moldavie (à l'origine non abolitionniste, aujourd'hui abolitionniste)
Le 27 juin, la Moldavie, en vue de son adhésion au Conseil de l'Europe, qui à cette date comptait 34 pays membres, s'est engagée à décréter un moratoire immédiat sur les exécutions, à "signer et ratifier, dans un délai de trois ans suivant son adhésion, le Protocole n·6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (14) concernant l'abolition de la peine de mort en temps de paix, et à maintenir le moratoire sur les exécutions jusqu'à l'abolition totale de la peine capitale". La peine de mort a été totalement abolie en décembre 1995 (cf. chapitre 1 plus haut).
* Ukraine (non abolitionniste)
L'Ukraine a accepté de mettre fin aux exécutions par une déclaration faite le 9 novembre dans le cadre de son adhésion au Conseil de l'Europe. Le 26 septembre, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe avait déjà officiellement pris acte d'un tel engagement, lors d'un vote en faveur d'une adhésion à part entière de l'Ukraine au Conseil. A l'occasion d'une réunion organisée le 17 octobre à Kiev, la capitale ukrainienne, entre des délégués de l'Assemblée parlementaire et des représentants du gouvernement, le ministre de la Justice, Serhiy Holovatiy, devait déclarer que le moratoire sur les exécutions prendrait effet immédiatement et qu'aucune exécution n'avait eu lieu depuis le mois de septembre. Le président du Parlement ukrainien, Olexander Moroz, a toutefois affirmé par la suite que le Parlement n'était pas favorable à l'abolition, pas plus que la majorité des Ukrainiens. Grigory Vorsinov, le procureur général qui venait d'être nommé à l'époque, aurait déclaré que les exécutions se poursuivaient dans
deux régions du pays et qu'il avait personnellement déposé un rapport concernant une exécution récente dans la région de Dnepropetrovsk.
En 1995, selon des statistiques officielles émanant du ministère de la Justice, 191 personnes ont été condamnées à mort et 149 exécutées. Un seul condamné a été gracié.
* Albanie (abolitionniste de fait)
Le 29 juin, l'Albanie s'est engagée à décréter un moratoire sur les exécutions en vue de son adhésion au Conseil de l'Europe. Le président du Parlement albanais, Pjeter Arbnori, dans une déclaration signée le même jour, s'est dit prêt à engager son pays à "signer, ratifier et appliquer le Protocole n·6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort en temps de paix, dans un délai de trois ans suivant son adhésion [à cette convention], et à instaurer un moratoire sur les exécutions jusqu'à l'abolition totale de la peine capitale".
3. Les avancées relatives aux projets de loi visant à abolir la peine de mort
* Pologne
Suite à un vote, le 9 juin, de la Chambre basse du Parlement polonais portant sur l'instauration d'un moratoire de cinq ans sur les exécutions (cf. chapitre 2 plus haut), le gouvernement polonais est convenu en juillet du texte d'un projet de loi visant à abolir totalement la peine de mort. Ce projet doit encore être approuvé par le Parlement et signé par le président pour avoir force de loi. Andrzej Cubala, le porte-parole du ministère de la Justice, aurait déclaré que le gouvernement voulait abolir la peine de mort avant l'entrée prévue du pays dans l'Union européenne.
Le 10 novembre, le Conseil des ministres belge a approuvé un avant-projet de loi visant à abolir la peine de mort pour toutes les infractions, en temps de guerre comme en temps de paix. Le projet devait être adopté par le Parlement au cours du premier semestre de 1996. (15)
Depuis 1863, les condamnations à mort pour des infractions de droit commun ont toutes - à une exception près - été commuées. Aucune exécution n'a eu lieu depuis août 1950.
Au mois de novembre 1995, un communiqué de presse publié par le Conseil des ministres faisait savoir qu'outre les considérations éthiques et morales le maintien de la peine de mort posait des problèmes d'ordre pratique, tel celui du refus de certains pays d'extrader des criminels vers la Belgique au motif qu'ils risquaient d'y être condamnés à mort. L'avant-projet de loi traitait aussi du sujet de la hiérarchie des peines, proposant le remplacement de la peine de mort par une peine de réclusion à perpétuité, et cette dernière par une peine de réclusion comprise entre vingt et trente ans.
4. Le rétablissement de la peine de mort
* Etats-Unis: Etat de New York
Le 7 mars 1995, le gouverneur de New York, George Pataki, a signé un projet de loi visant à rétablir la peine de mort dans l'Etat de New York, lui donnant ainsi force de loi. Chaque année depuis dix-huit ans, le corps législatif de New York avait adopté des projets de loi pour le rétablissement de la peine capitale, mais chaque année le projet se heurtait au veto du gouverneur. Ces douze dernières années, le gouverneur était Mario Cuomo; auparavant, Hugh Carey était resté six ans à ce poste. Le gouverneur Cuomo a été battu aux élections de 1994. Son successeur, George Pataki, avait notamment fait valoir durant sa campagne qu'il était partisan de la peine de mort, affirmant que, s'il était élu, il rétablirait dès que possible ce châtiment dans l'Etat de New York. Le gouverneur Pataki est entré en fonction le 1er janvier 1995.
* Gambie
L'Armed Forces Provisional Ruling Council (AFPRC, Conseil provisoire des forces armées), qui a pris le pouvoir en juillet 1994 à la faveur d'un coup d'Etat militaire, a publié, le 10 août, un décret rétablissant la peine de mort; celle-ci avait été abolie en avril 1993. à la fin de 1995, il ne semblait pas que des condamnations à mort aient été prononcées.
Dans deux pays ayant récemment rétabli la peine capitale, des condamnations à mort ont pour la première fois été prononcées. Le 20 février, la Papouasie-Nouvelle Guinée a infligé sa première condamnation depuis le rétablissement de la peine de mort pour meurtre prémédité en 1991, afin de répondre à l'escalade du nombre de crimes de sang dans le pays. Charles Ombusu, reconnu coupable de meurtre avec préméditation et de viol, a été condamné par le tribunal national de Popondetta (16). Aux Philippines, plus de 68 condamnations à mort avaient été prononcées avant la fin de 1995, suite au rétablissement de la peine capitale en janvier 1994. Aucune exécution n'avait cependant eu lieu, le pays ne possédant pas les équipements nécessaires.
5. L'extension du champ d'application de la peine de mort
L'extension du champ d'application de la peine de mort n'est pas compatible avec les obligations aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). De plus, l'observation générale 6 du Comité des droits de l'homme, institué en vertu du PIDCP, souligne que les Etats parties sont tenus de limiter strictement le recours à la peine capitale.
Au cours de l'année 1995, plusieurs pays ont étendu le champ d'application de la peine de mort, ce qui est contraire aux souhaits exprimés depuis des années par diverses instances intergouvernementales. Dans les rapports qu'il présente annuellement à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, y compris dans celui soumis lors de la 51· session (30 janvier- 10 mars 1995) (17) le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires n'a cessé de souligner que le champ d'application de la peine de mort ne devait jamais étre étendu, et il a instamment demandé aux Etats qui l'avaient néanmoins fait de revenir sur leur décision (cf. également chapitre 7, "Les avancées au niveau des organisations intergouvernementales").
* Guatémala
En mars 1995, le Congrès guatémaltèque a approuvé l'extension du champ d'application de la peine de mort à toute personne reconnue coupable d'enlèvement, ainsi qu'à tout complice qui aurait menacé de tuer les victimes d'un enlèvement. Le président Ramiro de Leon Carpio n'a toutefois ni ratifié la loi dans le délai prescrit ni opposé son veto, en conséquence de quoi le statut de ce texte demeure confus. En juillet, une nouvelle loi est entrée en vigueur, qui prévoit que les homicides à caractère politique commis par des représentants du gouvernement peuvent être sanctionnés par la peine capitale si la victime est âgée de moins de douze ans ou de plus de soixante ans. Il est également prévu que la disparition forcée peut entraîner la peine capitale si, pour la victime, cette disparition s'est soldée par de graves blessures, par un traumatisme psychologique permanent, voire par la mort.
En étendant ainsi le champ d'application de la peine de mort, le Guatémala viole ses engagements internationaux en tant qu'Etat partie à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. L'article 4-2 de cette convention dispose notamment: "La peine de mort ne sera pas appliquée à des crimes qu'elle ne sanctionne pas actuellement."
* Koweït
Une loi entrée en vigueur en 1983 prévoit la peine capitale pour les trafiquants de drogue qui commettent un meurtre ou tentent de le faire sur la personne d'un membre des forces de sécurité. Le 25 avril 1995, le Parlement koweétien a adopté une loi aux termes de laquelle la peine de mort est obligatoirement prononcée pour certaines autres infractions liées à la drogue. En vertu de cette nouvelle législation, la peine capitale est statutaire pour les personnes faisant appel à des enfants dans le cadre du trafic de stupéfiants, les trafiquants de drogue multirécidivistes, ainsi que les fonctionnaires chargés de lutter contre le trafic de stupéfiants qui se livrent eux-mêmes à de tels agissements.
* Côte-d'Ivoire
L'Assemblée nationale ivoirienne a adopté, le 24 juin, une loi étendant le champ d'application de la peine de mort aux vols avec violence. La nouvelle législation prévoit que le condamné peut être exécuté - par un peloton d'exécution - en public. Cette loi n'a toutefois pas encore été promulguée par le président et aucune exécution n'a été signalée.
Bien qu'en Côte-d'Ivoire la peine de mort soit un héritage de la colonisation française, le président fondateur du pays, Félix Houphouêt-Boigny, a toujours, de 1960 jusqu'à sa mort en décembre 1993, commué les peines capitales en peines d'emprisonnement.
* Chine
La Décision sur la sanction à appliquer aux criminels accusés d'avoir troublé l'ordre financier a été adoptée par l'Assemblée populaire nationale le 30 juin 1995 (18). Aux termes de cette décision, la peine maximale prévue pour cette infraction n'est plus la réclusion à perpétuité, mais la mort. Au nombre des infractions pouvant étre sanctionnées par la peine capitale figurent maintenant la contrefaçon, les escroqueries aux comptes bancaires, la fabrication de faux documents bancaires et les fausses déclarations aux assurances.
Selon un représentant de la Commission des affaires juridiques du Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale, la nouvelle législation sera d'abord utilisée pour lutter contre les faux-monnayeurs, puis contre ceux qui ouvrent frauduleusement des comptes bancaires ou fabriquent de faux documents bancaires, ainsi que contre les personnes simulant des accidents afin de toucher la prime d'assurance. Les analystes financiers de Hong Kong ont prévenu les investisseurs étrangers que cette extension du champ d'application de la peine capitale pouvait également s'appliquer à eux.
En novembre 1995, une nouvelle loi a été promulguée, aux termes de laquelle la peine maximale sanctionnant les infractions graves à la législation relative à la taxe à la valeur ajoutée (TVA) sera la mort et non plus la réclusion à perpétuité. (19)
6. Les sondages d'opinion
* Etats-Unis
Le Centre d'information des Etats-Unis sur la peine capitale (20) a publié en février les conclusions d'une enquête consacrée à l'opinion des chefs de la police sur la peine de mort. Cette étude, qui s'intitule On the Front Line: Law Enforcement Views on the Death Penalty [En première ligne: Ce que pensent de la peine de mort ceux qui sont chargés d'appliquer la loi], contient le résultat des entretiens téléphoniques avec 386 chefs de la police choisis au hasard et exerçant dans 48 Etats des Etats-Unis. L'analyse des conclusions fait apparaître que, pour les chefs de la police, la peine de mort ne vient qu'en dernier sur la liste des mesures classées selon leur effet probable sur les crimes de sang. Plus de 80 p. cent des personnes interrogées sont convenues que la plupart des délinquants n'étaient pas dissuadés par la menace d'une sentence capitale, et 85 p. cent sont tombées d'accord pour dire que les hommes politiques insistaient trop sur la valeur de la peine de mort en tant que moyen de lutter contre la
criminalité.
Dans une autre enquête, la National League of Cities [La ligue nationale des grande villes] a sondé 382 fonctionnaires élus dans diverses villes des Etats-Unis. Elle leur a demandé ce que les gouvernements devraient faire pour réduire la criminalité urbaine. Sur une liste proposant 20 catégories de mesures de sécurité publique à cette fin, celle préconisant "davantage de condamnations à mort" a obtenu le moins de suffrages.
* Afrique du Sud
Trois sondages effectués au cours de l'année ont fait apparaître au sein de l'opinion publique un puissant courant en faveur du maintien de la peine de mort.
En avril, le Research Surveys Group, le plus grand institut de sondage du pays, a interrogé plusieurs milliers de personnes originaires de zones métropolitaines. Il apparaît au vu des résultats que 80 p. cent des Blancs interrogés estiment que la peine capitale doit être maintenue, 12 p. cent souhaitent son abolition, tandis que 8 p. cent ne se prononcent pas. Parallèlement, 49 p. cent des Noirs interrogés se disent pour le maintien de la peine de mort, 34 p. cent veulent la voir abolie et 17 p. cent sont sans opinion.
Markinor, un organisme spécialisé dans les études de marché, a publié en juillet les résultats d'une enquête réalisée dans cinq villes sud-africaines: Johannesburg, Durban, Pietermaritzburg, Bloemfontein et East London. Sur les 2.000 personnes interrogées, la moitié avait dû dire si elle était favorable au principe de la peine de mort, tandis que l'autre moitié se voyait poser la même question mais assortie de la qualification du crime pour lequel était prévue la peine capitale: viol, mauvais traitements à enfant, meurtre ou trahison. Soixante-deux pour cent des personnes du premier groupe se sont déclarées favorables au principe de la peine capitale. Dans le second groupe, 78 p. cent des personnes interrogées y étaient favorables pour les meurtres d'enfants, 70 p. cent pour les meurtres d'adultes et 65 p. cent pour les meurtres de policiers; 63 p. cent estimaient qu'il fallait exécuter les violeurs et 61 p. cent que la peine de mort devait punir les mauvais traitements graves à enfant; 35 p. cent seulement
pensaient que la peine capitale était le châtiment devant sanctionner la trahison.
En octobre, Market Research Africa a effectué une enquête auprès de 2.502 personnes - moitié hommes et moitié femmes - ne résidant pas en milieu rural. L'enquête, menée dans tout le pays, couvrait les zones métropolitaines, les villes de grande ou moyenne importance - notamment Cape Town, Durban, East London, Gauteng, Kimberley, Port Elizabeth, Uitenhage et Pietermaritzburg -, ainsi que les villages. Les résultats ont fait apparaître que 77 p. cent de l'ensemble des Sud-Africains souhaitent le rétablissement de la peine de mort.
* Canada
Au mois de juin, l'Angus Reid Group a effectué un sondage auprès d'un échantillon représentatif de la population canadienne adulte. Mille cinq cent personnes ont ainsi été interrogées par téléphone. Il est apparu que 69 p. cent des Canadiens étaient favorables au rétablissement de la peine capitale, contre 29 p. cent qui s'y déclaraient hostiles. L'institut de sondage tirait de ces résultats la conclusion qu'"une majorité de Canadiens, issus des principales couches de la population, aimeraient voir le rétablissement de la peine capitale".
Le Reform Party of Canada (Parti de la réforme du Canada - troisième formation politique de par son importance représentée au Parlement fédéral), a fait campagne pour que soit organisé au niveau national un référendum sur la peine de mort dont les résultats auraient force contraignante. Le gouvernement canadien a toutefois déclaré qu'il n'avait aucunement l'intention d'ouvrir à nouveau ce débat.
7. L'évolution au niveau des organisations intergouvernementales
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Bacre Waly Ndiaye, a présenté son rapport à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, le troisième depuis qu'il a pris ses fonctions en juin 1992 (21). Ce rapport traite des faits survenus au cours de l'année 1994. Les préoccupations qui y sont exprimées sont semblables à celles déjà formulées dans les deux précédents rapports.
Le rapporteur spécial, signalant que le Pérou, les Etats-Unis et le Nigéria avaient accru le nombre d'infractions pouvant être sanctionnées par la peine de mort, a souligné une nouvelle fois que le champ d'application de la peine capitale ne devait jamais être étendu et a instamment demandé aux Etats qui l'avaient néanmoins fait de reconsidérer leur décision (paragraphe 375).
Bacre Waly Ndiaye a eu connaissance de condamnations à mort prononcées à l'issue de procédures au cours desquelles les accusés n'avaient pas pleinement bénéficié des droits et garanties prévus par les instruments internationaux en matière d'équité. De tels cas ont été signalés en Algérie, en Bosnie-Herzégovine, dans la République centrafricaine, en Chine, en Egypte, en Iran, au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Koweït, au Liban, au Myanmar (ex-Birmanie), au Nigéria, en Sierra Leone, à Singapour, à Trinité-et-Tobago, en Ukraine, dans les Emirats Arabes Unis, aux Etats-Unis et au Yémen (paragraphe 376). Comme dans ses précédents rapports, le rapporteur spécial a mis l'accent sur le fait que la procédure conduisant à un verdict de peine capitale devait satisfaire aux plus hautes normes d'indépendance, de compétence, d'objectivité et d'impartialité des juges et des jurés (paragraphe 377).
Bacre Waly Ndiaye a de nouveau fait part de son inquiétude concernant la mise en place de juridictions spéciales chargées d'accélérer la procédure. En effet, celles-ci se caractérisent souvent par un moindre respect de la légalité et du droit à la vie que les juridictions de droit commun. Des juridictions spéciales auraient vu le jour en Algérie, en Egypte et au Nigéria (paragraphe 379).
En Algérie, au Pakistan et aux Etats-Unis, des personnes reconnues coupables de crimes commis alors qu'elles avaient moins de dix-huit ans continuaient d'être condamnées à mort, ou à tout le moins la législation autorisant de telles mesures était toujours en vigueur dans ces pays. Des cas d'exécutions d'accusés souffrant d'arriération mentale ont été signalés au Japon et aux Etats-Unis. Le rapporteur spécial a une nouvelle fois fait part de sa préoccupation à ce sujet (paragraphe 380).
Deux affaires ont attiré sur elles, en raison de leur nouveauté, une attention particulière. La première a été l'exécution à Trinité-et-Tobago, le 14 juillet 1994, de Glen Ashby, alors que la procédure d'appel était en instance. Le Judicial Committee of the Privy Council (JCPC, Comité judiciaire du Conseil privé), qui joue à Londres le rôle d'instance suprême pour certains pays du Commonwealth britannique, avait déclaré en 1993 que le fait d'attendre, après le prononcé du verdict, l'exécution d'une sentence capitale pendant cinq ans constituait un traitement cruel et inhumain et que la peine devait être commuée. Glen Ashby a été exécuté quatre ans et onze mois après avoir été condamné à mort en juin 1989 et alors que la procédure d'appel était encore en cours. Dans son rapport soumis à la Commission des droits de l'homme des Nations unies lors de sa 50e session, le rapporteur spécial avait dit sa crainte de voir la décision du JCPC inciter les gouvernements à précipiter les exécutions, ce qui risquait de por
ter atteinte au droit des accusés à user de toutes les voies de recours existantes. Le rapporteur spécial a de nouveau déclaré qu'il serait préférable que cette décision soit interprêtée à la lumière d'une souhaitable abolition de la peine capitale (paragraphe 382).
L'autre affaire concernait Adzhik Aliyev, qui aurait été exécuté au Tadjikistan un jour seulement avant la signature d'un accord aux termes duquel il aurait pu prétendre à être libéré de prison. Le rapporteur spécial a déclaré que, bien que le droit international n'interdise pas la peine de mort, il n'existe pas non plus un quelconque droit à la peine capitale, soumis uniquement aux restrictions énoncées dans les instruments internationaux pertinents (paragraphe 383).
8. Le rapport quinquennal des Nations unies sur la peine capitale
Tous les cinq ans, le secrétaire général des Nations unies est tenu de présenter un rapport sur la peine capitale. Ces rapports constituent une source unique de renseignements, en ce qu'ils se fondent tant sur les informations fournies par les gouvernements que sur les études effectuées par les organisations non gouvernementales et les experts.
Le dernier rapport quinquennal présenté par le secrétaire général, le cinquième de la série, a été rendu public le 8 juin 1995, puis complèté de notes additionnelles publiées le 29 juin et le 6 juillet. Soixante-trois gouvernements ont répondu à la demande de renseignements du secrétaire général, alors que 55 l'avaient fait pour le précédent rapport, en 1990.
Le rapport compare les informations récentes avec celles concernant les périodes antérieures et conclut qu'"un nombre inédit de pays ont supprimé la peine de mort ou suspendu son exécution". Il poursuit ainsi: "L'évolution paraît tout à fait remarquable. Depuis 1989, 24 pays ont aboli la peine de mort, dont 22 pour tous les crimes en temps de paix ou en temps de guerre [...] Il faut aussi remarquer [cependant] que, depuis 1989, quatre pays ont rétabli la peine de mort et [que] deux au moins qui étaient considérés comme abolitionnistes de fait ont repris les exécutions. En outre, plusieurs pays ont élargi le champ d'application de la peine de mort en réaction à ce qu'ils perçoivent comme une recrudescence de la criminalité..." (paragraphe 89)
Le rapport de 1995 traite autant de la question de la peine capitale en tant que telle que de l'application des Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, adoptées en 1984 par le Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC). Il relève notamment qu'en violation des garanties de 1984, des personnes sont condamnées à mort "pour des crimes commis sans intention de donner la mort, divers crimes politiques et des crimes relatifs à la discipline militaire". Les procès ne sont pas toujours équitables et, à dans un certain nombre de pays, la peine de mort est obligatoire [pour certaines infractions], ce qui ne laisse aucune place aux circonstances atténuantes". Le rapport suggère de donner une définition plus claire de la déficience mentale, conformément à la recommandation adoptée par l'ECOSOC en 1989 (résolution 1989/64), de façon à ce que "les handicapés mentaux ou les personnes dont les capacités mentales sont extrêmement limitées" ne soient plus condamnés à mo
rt. (paragraphe 90)
Pour la première fois, des enquêtes ont été menées concernant les peines ayant remplacé la peine de mort après son abolition. Voici ce que dit le rapport: "Plusieurs tendances sont apparues. Premièrement, il est relativement rare que la durée de l'emprisonnement soit imposée par la loi. Deuxièmement, de nombreux pays laissent les tribunaux libres d'apprécier s'ils doivent condamner le prévenu à la prison à vie ou à une peine de prison fixe, dont la durée varie selon les pays mais qui est généralement comprise entre 15 et 25 ans - sauf pour les crimes économiques précédemment passibles de la peine de mort, pour lesquels la durée tend à étre plus courte. Troisièmement, un pays au moins ne prévoit pas de remise de peine, mais la plupart des autres permettent d'écourter l'incarcération grâce à divers systèmes de libération conditionnelle, commençant souvent vers les deux tiers de l'accomplissement de la peine." (paragraphe 44)
Après avoir pris connaissance de ce rapport, le Conseil économique et social a adopté, le 28 juillet, une résolution définissant la méthode qui devra être utilisée pour la rédaction du prochain rapport quinquennal, en l'an 2000, et demandant à la Commission des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale d'examiner le rapport à l'occasion de sa cinquième session, en 1996.
9. Les nouveaux Etats parties aux traités internationaux relatifs à la peine de mort
Le nombre d'Etats parties aux différents traités internationaux relatifs à la peine de mort n'a cessé de croître. En 1995, trois pays sont devenus parties au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, ce qui a porté le nombre des Etats parties à 29 (23). A la fin de l'année, 23 pays étaient parties au Protocole n·6 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (dite Convention européenne des droits de l'homme) concernant l'abolition de la peine de mort. Trois pays étaient parties au Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, traitant de l'abolition de la peine de mort. Un certain nombre d'autres pays avaient signé l'un des protocoles, voire plusieurs, montrant ainsi leur intention d'y devenir parties à une date ultérieure.
Le tableau qui suit présente les Etats parties et les Etats signataires des trois traités contre la peine de mort, à la date du 1er janvier 1996.
-----------------------------------------------------------
Traité international Etats ayant signé Etats parties
le traité mais ne
l'ayant pas
encore ratifié
-----------------------------------------------------------
Deuxième Protocole Belgique, Allemagne,
facultatif se Costa Rica, Australie,
rapportant au Pacte Honduras, Autriche, Croatie
international relatif Nicaragua Danemark, Equateur
aux droits civils et Espagne, Finlande
politiques, visant Hongrie, Irlande
à abolir la peine de Islande, Italie
mort Luxembourg,
Macédoine, Malte
Mozambique,
Namibie, Norvège
Nouvelle-Zélande,
Panama, Pays-Bas,
Portugal, Roumanie
Seychelles,
Slovénie, Suède,
Suisse, Uruguay,
Vénézuela
-----------------------------------------------------------
Protocole n·6 à la Belgique, Allemagne,
Convention européenne Estonie, Autriche,
des droits de l'homme Grèce, Danemark, Espagne
concernant Finlande, France,
l'abolition de Hongrie, Irlande,
la peine de mort Islande, Italie,
Liechtenstein,
Luxembourg, Malte,
Norvège, Pays-Bas,
Portugal,
République slovaque
République tchèque
Roumanie, Saint-
Marin, Slovénie,
Suède, Suisse
-----------------------------------------------------------
Protocole à la Brésil, Panama, Uruguay,
Convention américaine Costa Rica Vénézuela
relative aux droits Equateur
de l'homme, traitant Nicaragua
de l'abolition de
la peine de mort
-----------------------------------------------------------
10. Condamnations à mort et exécutions
Au cours de l'année 1995, au moins 2.931 prisonniers ont été exécutés dans 41 pays et 4.165 personnes ont été condamnées à mort dans 79 pays. Ces chiffres ne recouvrent que les cas dont Amnesty International a eu connaissance; le nombre total réel des personnes condamnées à mort ou exécutées est certainement plus élevé.
Comme les années précédentes, un petit nombre de pays est responsable de la majorité des exécutions qui ont été signalées. Amnesty International a été informée de l'exécution de 2.190 personnes en Chine, 192 en Arabie saoudite et plus d'une centaine au Nigéria. Ces trois pays totalisent à eux seuls 85 p. cent du nombre total des exécutions recensées par l'Organisation dans le monde entier. En outre, selon des sources non officielles, 101 exécutions auraient eu lieu au Kazakhstan. Les autorités kazakhes n'en reconnaissent que 63. De nombreuses exécutions ont également été signalées en Irak, mais Amnesty International n'a pu obtenir aucune confirmation concernant la plupart de ces exécutions et n'est pas en mesure d'en fournir le chiffre exact. (24)
Tableau 1
Nombre de pays abolitionnistes à la fin de l'année (1995)
-----------------------------------------------------------
Année Nombre de pays Nombre de pays
abolitionnistes abolitionnistes
pour tous les crimes en droit ou de fait
-----------------------------------------------------------
1981 27 63
1982 28 63
1983 28 64
1984 28 64
1985 29 64
1986 31 66
1987 35 69
1988 35 80
1989 39 84
1990 46 88
1991 46 83
1992 49 84
1993 53 90
1994 55 97
1995 56 101
-----------------------------------------------------------
Tableau 2
Nombre d'exécutions recensé annuellement dans le monde (1980-1995)
-----------------------------------------------------------
Année Nombre Nombre Nombre de Pourcentage de
de pays d'exécu- pays ayant toutes les
ayant tions procédé à exécutions recensées
procédé recensées plus de 100 qui ont eu lieu dans
à des exécutions les pays ayant
exécu- procédé à plus de
tions 100 exécutions
(1984-1994) (1984-1994)
-----------------------------------------------------------
1980 29 1.229
1981 34 3.278
1982 42 1.609
1983 39 1.399
1984 40 1.513 4 78%
1985 44 1.125 3 66%
1986 39 743 3 56%
1987 39 769 3 59%
1988 35 1.903 3 83%
1989 34 2.229 3 85%
1990 26 2.029 4 84%
1991 32 2.086 2 89%
1992 35 1.708 2 82%
1993 32 1.831 1 77%
1994 37 2.331 3 87%
1995 41 2.931 3 85%
-----------------------------------------------------------
La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WCIX 8DJ, Royaunw-Uni, sous le titre Abolition of the Death Penalty Woridwide: Developments in 1995. Seule la version anglaise fait foi.
La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES EDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL. EFAI - août 1996.
Notes
1. WILLIAM A. SCHABAS (observateur lors des audiences), South Africas New Constitutional Court abolishes the Death Penalty, [La nouvelle Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud abolit la peine de mort], Human Rights Law Journal, vol. 16, n·4-6, 30 septembre 1995.
2. Etat C. T. Makwanyane et M. Mchunu, affaire n·CCT/3/95, 6 juin 1995, Chaskalson, parag. 151.
3. Open Letter to all Members of the Constitutional Assembly of South Africa (index AI TGIAFR/53/96.01) [Lettre ouverte à tous les membres de l'Assemblée constituante d'Afrique du Sud].
4. ibid. Chaskalson, parag. 95.
5. Ibid. Chaskalson, parag. 50.
6. Ibid. Chaskalson, parag. 51.
7. Ibid. Langa, parag. 218.
8. Ibid. Sachs, parlag. 350.
9. Ibid. Chaskalson. parag. 117.
10. [bid. Chaskalson, parag. 110- 118 ; Didcott, parag. 181-182.
11. Ibid. Chaskaison, parag. 127.
12. Ibid. Chaskaison, parag. 121-122.
13. Kreigier J., parag. 212-213.
14. Les deux articles de référence du Protocole n·6 sont les suivants:
Article 1er: "La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté."
Article 2: "Un Etat peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre; une telle peine ne sera appliquée que dans les cas prévus par cette législation et conformément à ses dispositions..."
15. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des Représentants le 13 juin 1996. Le Sénat n'a pas usé du pouvoir dont il dispose de réviser le texte. Au moment où nous écrivons, il est prévu que le projet reçoive l'approbation du roi et acquière force de loi avant la fin juillet 1996.
16. Sa condamnation a été annulée en 1996.
17. Rapport soumis à la 51· session de la Commission des droits de l'homme des Nations unies: document ONU n·E/CN.4/1995/61, paragraphe 375.
18. South China Morning Post, 6 mai 1995.
19. China: Death Penalty Continues to Expand in 1995 (index Al: ASA 17/04/95) [Chine. En 1995, le champ d'application de la peine de mort continue de s'étendre].
20. Death Penalty Information Center, 1606 20th St., NW, Washington DC 20009, Etats-Unis.
22. Peine capitale et application des garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort: rapport du secrétaire général, document ONU n·E/1995178 et E/1995/78 add.1.
23. La Macédoine a adhéré au Deuxième Protocole facultatif le 26 janvier 1995 et la Croatie le 12 octobre 1995. L'Italie a ratifié le Protocole le 14 février 1995.
24. Death Sentences and Executions in 1995 (index AI: ACT 51101/96) Condamnations à mort et exécutions en 1995.