Jeudi 7 janvier 1999
Tratto da un intervista su Le Monde
» Votre majorité ne risque-t-elle pas d'être déstabilisée par laá mise en place de l'euro et,
plus généralement, par la poursuite de l'intégration européenne ?
Je rappelle d'abord qu'en juin 1997 la France n'était pas qualifiée pour l'euro.
Les Français et leur gouvernement ont réussi cetteá qualification. La mise en place de l'euro
au niveau des institutionsá financières semble se faire presque naturellement. Cela a bien
démarré, et je m'en réjouis, car c'est une bonne chose pour le climat économique.
Mais il faut encore travailler pour que, dans trois ans, quand l'euro deviendra la mon naie de
tous les jours pour les Eu ropéens, ce soit également une réussite. L'euro doit permettre avant
tout aux pays européens qui l'ont adopté d'avoir une économie prospère. Cela nécessiteá un
pilotage adapté de la part des autorités monétaires et, notamment, de la Banque centrale
européenne.
Pour l'Europe, il s'agit d'affirmer une nouvelle monnaie internationale fondée sur une puissance
dynamique, celle de l'Unioná européenne, et d'échapper à la domination du dollar. Pour jouer ce
rôle, l'euro doit être robuste. Il le sera d'autant plus que l'Europe sera une zone de croissance
Il ne peut pas être une monnaie faible s'il veut être une monnaie de réserve à côté du dollar.
Il ne doit pas être, pour autant, surévalué. Sinon, ce que nous gagnerions sur le terrainá
monétaire nous le perdrions sur le terrain commercial et, au bout du compte, sur le terrain
économique. L'important n'est pas la valeur de l'euro sur trois jours ou trois mois : c'est qu'un
bon équilibre s'instaure sur une longue période entre l'euro et le dollar, et d'autres monnaies,
comme le yen.
Je ne vois rien là qui puisse ÆdéstabiliserÆ la majorité plurielle.
Reste le débat de fond sur l'Europe. A cet égard, la question que M. Pasqua essaie de poser à
propos de l'Europe et de la nation está intéressante, même si je ne pense pas qu'il apporte la
bonne réponse. Nous n'avons pas à renoncer à la nation. La France ne peut pas vivre sansá avoir
son identité propre. Le peuple français ne peut pas se vivre comme un peuple dont le destin
serait de se fondre parmi les autres. Je sais que nous vivrons pleinement comme peuple et comme
nation dans l'Europe. Je respecte le fait que M. Pasqua, lui, soit resté fidèle à ses convictions
d'hier et veuille les défendre ; mais il se trompe.
Nous n'avons à renoncer ni à la nation, ni à l'Europe, ni à notre identité. La réponse juste à la
question qu'il se pose est dans leá contenu qu'on veut donner à l'Europe. Une Europe qui s'exprime
sur la scène internationale et affirme son modèle propre prend en compte nos intérêts nationaux :
c'est à cette Europe que le gouvernement travaille,á en défendant la coordination des politiques
économiques, en contribuant à la naissance d'un gouvernement économique avec les autres pays de
l'euro,á en réinsistant sur la crois sance, l'emploi, l'harmonisation fiscale.
û Vous avez évoqué la nécessaire originalité de la politique internationale de la France. Estimez-vous que cette originalité n'estápas, aujourd'hui, suffisamment marquée ?
Sur la scène internationale, nous sommes confrontés à un problème á nouveau. Les Etats-Unis se
comportent souvent d'une manière unilatérale et ont du mal à assumer le rôle d'animateur de la
communautéá internationale auquel ils prétendent. Cela s'est vu dans le conflit avecá l'Irak.
Quelle est la réalité après les frappes anglo-américaines ? Nous sommes passés d'une situation
où l'ensemble de la communautéá internationale avec l'ONU rappelait l'Irak à ses obligations à
une confrontation directe entre le régime de Bagdad et nos amis américains et britanniques. Je ne
vois pas où est le progrès. La France a des idées pour une sortie de crise assurant une sécurité
régionale durable et permettant la levée de l'embargo. Elle y travaille et les présentera le
moment venu.
De manière générale, je crois que l'on a besoin que la France s'affirme davantage sur la scène
internationale. Pas en raison de saá puissance ou des leçons qu'elle aurait à distribuer, mais
parce qu'elle regarde un certain nombre de réalités internationales de façon différente. Amie des
Etats-Unis, elle ne partage pas automatiquement le point de vue de cette grande nation. En outre,
elle s'exprime en tant que pays profondément européen, ce qui permet, là aussi, de réconcilier
intérêt national et ambition européenne.
û La logique de la Cour pénale doit-elle conduire à juger les auteurs du génocide cambodgien ?
Face à l'horreur du génocide cambodgien, il serait inacceptable que ses auteurs restent impunis.
D'une façon ou d'une autre, il faut qu'ils aient à rendre compte de leurs crimes.
û Les immigrés non régularisés sont-ilsá condamnés au régime du Æpas vu, pas prisÆ, comme vous
l'a reprochéá Philippe Séguin, ou bien avez-vous trouvé le moyen de sortir de cetteá contradiction ?
Le gouvernement a dit, depuis le début, qu'il régulariserait non pas sur demande, mais sur critères.
Ces critères sont fondés sur deux idées : le droit de vivre en famille et la reconnaissance d'une
véritable intégration. Nous nous sommes constamment tenus à cette démarche, soumise aux électeurs
lors de la campagne des élections législatives de 1997 et, même, pour ce qui me concerne, dès celle
de l'élection présidentielle de á 1995. La circulaire que nous avons prise en juin 1997, puis la
loi á Chevènement, sont conformes à cette approche, qui est juste et réaliste.
Nous sommes revenus au droit du sol, nous avons élargi le droit d'asile et nous avons régularisé
80 000 personnes qui, sans nous,á seraient encore en situation irrégulière. Alors, c'est vrai,
ceux qui ne sont pas régularisés ont vocation à retourner dans leurs pays, et nousá les y
aiderons par une politique de co-développement.
J'ai le plus grand respect pour les minorités agissantes, dans ce domaine ; mais elles ne peuvent
pas l'emporter sur les majoritésá démocratiques. Une loi a été votée ; elle est comprise par
l'opinion, etá je crois que notre attitude a dépassionné cette question de l'immigrationá pour
la majorité de nos concitoyens. Donc, nous nous tiendrons à cetteá politique, respectueuse de la
dignité de la personne et de l'Etat deá droit.