par Thierry Fiorilli
Le Soir, samedi 16 - dimanche 17 août 1997
Vendredi, à Rome, en plein soleil, il pleuvait. De ces ondées qui font sortir les foules. D'ordinaire, parce qu'elles font gicler les senteurs d'un foin fraîchement coupé. Ou parce qu'elles lèchent les corps abrutis de canicule. Des pluies en forme de caresses et d'éclats de rire. Vendredi, dans la Ville sainte, au son du Requiem de Mozart, l'averse souriait aussi. Moins sensuelle. Mais diablement bienfaisante encore: il pleuvait des billets. D'authentiques billets de 50.000 lires - un peu plus de 1.000 F. C'est que Marco Pannella jouait les cieux prodigues.
Robin des Bois transalpin, la superstar du Parti radical avait annoncé une distribution publique d'argent en ce jour d'Assomption, à un jet de pièce du Capitole. Comme à Trévise, en juillet, où le grand bouffon avait allégé les caisses de son parti d'environ 500.000 de nos francs pour remplir les poches des anonymes. Procédé tout simple: on se présente aux guichets installés, on fait sagement la queue, on exhibe une pièce d'identité et, sans faire déclaration d'allégeance aux radicaux, on empoche un billet. Merci Dio Marco. Pannella, 67 ans, qui adore se présenter lui-même comme libéral, libertaire et libériste, se veut incendiaire mais cohérent. C'est la loi sur le financement public des partis politiques qu'il vise. Qu'il raille. Qu'il détourne au profit du contribuable. Abrogée il y a quatre ans - via un exercice devenu (avec les pétitions) la spécialité de Marco le vampire: le référendum -, le Parlement l'a ressuscitée l'an dernier. De cet argent, Pannella n'en veut pas. Ce n'est, glapit-il à l'ombre de
la statue de Marc-Aurèle, que le butin d'un véritable vol orchestré par là particratie au pouvoir. Nous ne voulons pas une seule lire de cet Etat corrompu et voleur. Nous voulons la liberté d'être libre. Cet argent doit revenir aux citoyens. Ainsi dit, ainsi fait. A Trévise, 5.000 citoyens aux anges ont un peu arrondi leur fin de mois. A Rome, vendredi, on en attendait 10.000. Le compagnon de parti d'Emma Bonino, la très médiatique commissaire européenne à l'Aide humanitaire, et - un temps - de la sulfureuse Cicciolina est un habitué de la provocation très flower power . Ici, conférence de presse donnée entièrement nu. Là, grève de la faim en faveur de la dépénalisation de l'avortement. Ailleurs, distribution de haschisch et de marijuana pour contribuer à la légalisation des drogues douces. Je fais de la politique sur le trottoir, rit-il. Désormais, le vieux don Quichotte, un brin mégalo, anticonformiste et parfois démagogue, actionne lui-même des mannes plus célestes que jamais. Heureux Italiens!