La loi Verdeille violerait la propriété et la liberté d'association
de Sylvia Zappi
Le Monde, mercredi 24 décembre 1997
La France viole-t-elle, avec la loi Verdeille qui régit le droit de chasse, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? La Commission européenne des Droits de l'homme l'affirme dans un rapport qu'ella a remis le 8 décembre au comité des ministres du Conseil de l'Europe. Selon ce document, reçu lundi 22 décembre par le Cabinet de Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, la France se rendrait coupable de violation du droit de propriété et de la liberté d'association, ainsi que de discrimination fondée sur la fortune. La Commission a donc saisi la Cour européenne des droits de l'homme qui devrait statuer dans les mois à venir.
L'affaire a pour origine une plainte de trois petits propriétaires fonciers de la commune de Tourtoriac en Dordogne, condamnés par le Tribunal de grande instance de Périgueux à enlever les panneaux "refuge, chasse interdite" qu'ils avaient apposés sur leurs terrains. Membres de l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), ils entendaient manifester leur opposition à toute chasse sur leur propriété. La loi Verdeille du 10 juillet 1964 est, en effet, formelle: tous les terrains de moins de vingt hectares d'un seul tenant des 9.200 communes où elle s'applique doivent être ouverts à la chasse. Un propriétaire ne peut donc s'opposer au passage des chasseurs sur ses terres. Elle impose également à ces petits propriétaires la qualité de membre de droit de l'Association communale de chasse agréée (ACCA). Ce sont ces deux dispositions que la Commission entend voir condamnées.
Pratiques discriminatoires
Le rapport de la Commission est sans appel pour les autorités françaises. Premier grief: l'obligation d'ouvrir ses terres à la chasse "se révèle une ingérence dans le droit de propriété dès lors qu'elle ne prévoit aucune indemnisation des propriétaires non-chasseurs". Par vingt-sept voix contre cinq, les magistrats de la Commission ont estimé que l'article 1 du protocole n·1 de la Convention qui garantit le droit de propriété était donc violé par la France.
Les pratiques discriminatoires sont aussi stigmatisées. S'appuyant sur l'article 14 de la Convention qui garantit à tout citoyen que "la jouissance des droits et libertés reconnus (...) doit être assurée sans distinction aucune", la Commission condamne les distinctions faites entre les propriétaires. La loi Verdeille distingue deux catégories de propriétaires: les grands qui sont dispensés de l'obligation d'accueillir les chasseurs sur leurs terres, qui peuvent se réserver l'exclusivité du droit de chasse ou interdire aux autres cette pratique; les petits qui, eux, sont soumis à l'obligation de mettre leur terrain à disposition de l'association communale de chasse. "La différence de traitement entre les grands et les petits propriétaires quant à leur droit de faire usage de leur bien est donc en l'espèce discriminatoire", conclut la Commission.
La Commission a également jugé que la loi Verdeille remettait en cause la liberté d'opinion et le droit d'association garantis par le paragraphe 11 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Considérant l'obligation faite à un petit propriétaire d'adhérer à une association de chasse comme une "ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'association", la Commission condamne là encore les pratiques de la France: "Contraindre de par la loi un individu à une adhésion profondément contraire à ses propres convictions et l'obliger (...) à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l'association en question réalise des objectifs qu'il désapprouve porte donc atteinte à la substance même du droit à la liberté d'association".
La menace d'une condamnation européenne est aujourd'hui prise au sérieux par la Direction de la nature et des paysages du ministère de l'environnement qui estime que le rapport "est sévère par rapport aux thèses que nous avons défendues". Le dossier de la chasse que Dominique Voynet souhaitait ne pas ouvrir afin d'éviter toute tension avec les chasseurs risque donc de devenir d'actualité plus vite que prévu. Consciente qu'il s'agit là d'un sujet sensible sur lequel le premier ministre pourrait ne pas la suivre dans son désir de réforme, la ministre Verte s'était contentée, en septembre, de rappeler aux chasseurs l'existence de ceux "qui se promènent sans fusil". La France doit maintenant définir sa position dans le mémoire de défense qu'elle enverra à la Cour européenne de justice.
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Une législation contraignante
La loi du 10 juillet 1964, dite loi Verdeille, portant création des associations communales et intercommunales de chasse, régit le droit de chasse dans neuf mille deux cents communes. Partout où se sont créées ces associations de chasse communales agréées (ACCA), la loi fait obligation aux propriétaires de terrains de moins de 20 hectares d'un seul tenant (dans certains départements, ce seuil a été porté à 40 hectares) d'ouvrir leur propriété aux chasseurs. Tout propriétaire est, par ailleurs, automatiquement membre de l'ACCA. En cas d'opposition du propriétaire, celui-ci doit assurer par ses propres moyens la "garderie" de son terrain, sa signalisation et la destruction des nuisibles. La liste des communes et départements régis par la loi est arrêtée par le ministre de l'environnement après demande des conseils généraux ou des communes.
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