Le Monde, le 8 mars 1995
de François Grosrichard
Le ton monte depuis quelqueus jours entre le Canada et l'Union européenne, à propos de la pêche au large de Terre-Neuve. Ce n'est pas, cette fois-ci, la morue qui est en cause ni, non plus, les relations entre le Canada et le territoire français de Saint-Pierre et Miquelon, mai la pêche d'une espèce de turbot, connue par les spécialistes sous l'appellation de "flétan noir du Groenland".
Le commissaire européen à la pêche, Emma Bonino, a indiqué, lundi 6 mars a Bruxelles, que l'Union n'"acceptait pas les menaces canadiennes". Et, dans une déclaration publiée en marge de leur réunion, les ministres des affaires étrangères des Quinze ont "dénoncé l'action unilatérale des autorités canadiennes, en violation des règles du droit de la mer". Ottawa venait de faire savoir qu'il était prêt à faire arraisonner des bateaux européens au large de ses côtes au nom de la lutte contre la surpêche et de la protection de l'environnement. Outre les polémiques habituelles entre professionnels, experts scientifiques et autorités politiques sur la raréfaction, réelle ou supposée, des ressources halieutiques, la question est délicate sur le plan juridique. En effet, Ottawa (qui a déjà mis en vigueur un moratoire pour la pêche à la morue) veut réglementer sévèrement les prises du turbot au-delà de sa zone économique exclusive des 200 milles (sur laquelle il exerce naturellement sa souveraineté), là ou se prolonge,
dans les eaux internationales, le plateau continental riche en poisson. La Chambre des communes du Canada a voté en Juin 1994 une loi en ce sens attribuant aux autorités chargées du contrôle des pêches le droit de préndre "les mesures qui s'imposent" pour protéger les stocks de poissons qui "chevauchent" sur la ligne de démarcation des 200 milles. C'est cette législation unilatérale que contestent les autorités européennes.
Le conflit s'est durci lorsque, il y a quelques semaines, l'Organisation des pêches de l'Atlantique du nord ouest (OPANO), qui réglemente les prises dans cette partie du globe, a réparti les quotas de turbot entre les pays pêcheurs pour 1995. Les quantités ont été fixées à 27.000 tonnes au lieu de 60.000 en 1994 et, sur ce total, l'Europe des Quinze n'a obtenu que 3.400 tonnes, ce qu'elle a immédiatement refusé, avec d'autant plus de vigueur que le Canada se réservait (faisant valoir sa qualité d'Etat riverain) 60% des prises dans la partie située au-delà de ses 200 milles, donc dans les eaux "libres". Selon Ottawa, les prises européennes de ce poissons ont atteint quelque 45.000 tonnes chaque année depuis trois ans, ce qui met en péril le renouvellement des stocks. Les Européens ne s'opposent pas au principe d'une diminution du quota global mais veulent que les sacrifices solent plus équitablement répartis.