Le Congrès radical en Yougoslavie ?Pourquoi ?
de Giovanni Negri
SOMMAIRE: L'article parle de la crise politique, économique, sociale et ethnique de la Yougoslavie et constate qu'aujourd'hui le non-alignement du pays est une des causes structurelles de crise. Cette situation, ainsi que la proposition du Pr concernant l'adhésion de la Yougoslavie à la CEE ont déterminé le choix de tenir du prochain congrès du parti à Zagreb. L'auteur parle en suite du choix transnational du Pr. (Nouvelles Radicales N. 5 - septembre 1988)
"La situation en Yougoslavie est tellement grave, que nous n'avons plus le droit de retarder le débat sur les causes de la crise et sur les moyens de les éliminer". Nous ne sortirons pas de la crise tant que notre société n'aura pas dit si elle veut vivre encore dans un régime "socialiste autogestionnaire, ou de type étatique ou sociodémocrate" ou dans un pays "sans monopole de parti, ou avec, voire dans un pays à pluralisme politique".
C'est une déclaration récente. Révolutionnaire quand on sait que son auteur n'est ni Milovan Gilas ni un autre opposant au régime, mais bien l'actuel Premier ministre, Branko Mikulic, aux prises avec des difficultés institutionnelles, économiques, ethniques, croissantes. Ces difficultés - cela va sans dire - ont rendu dramatique la situation d'un pays coincé géographiquement entre des pays membres de la Communauté européenne, mais aussi théâtre historique de la naissance de quelques-uns des événements qui frappèrent de plein fouet et ébranlèrent l'Europe tout entière.
Le non-alignement, le choix noble et courageux de Tito qui entraina la rupture avec Stalin et la transformation de la Yougoslavie en leader des Etats qui refusèrent de choisir leur camp entre les U.S.A. et l'U.R.S.S., reste certes une raison d'orgueil national légitime. Mais c'est aussi désormais une cause structurelle de crise, un drapeau qui veillit sous les coups durs et redoublés qui lui sont infligés.
Il y existe indubitablement une crise ethnique et d'identité régionale entre Ljubljana et Zagreb d'une part, villes qui apparaissent comme des métropoles plus occidentales que beaucoup de villes italiennes, espagnoles ou portugaises et d'autre part les républiques et provinces autonomes du Sud, du Kosovo à la Macédoine, bien plus pauvres, et secouées aussi par des poussées nationalistes. La structure de l'Etat semble être devenue désormais une couverture trop fragile. Perpétuellement tirée d'un côté ou de l'autre, elle risque en permanence de se déchirer. Au point que récemment le système s'est cru contraint de répondre aux tensions qui s'étaient manifestées en Slovène au moyen de limogeages autoritaires.
L'augmentation de l'inflation et du chômage, les sempiternels heurts internes, les tensions au sein de la classe dirigeante elle-même, les signes non-équivoques de libéralisation qui parviennent aussi - finalement - de l'Est, ont fait le reste.
Il y a là suffisamment d'éléments pour justifier les paroles du Premier ministre Mikulic et pour comprendre que le Parti Radical ait choisi - dans sa nouvelle dimension de parti transnational - de célébrer son prochain congrès en Yougoslavie.
Parti des droits de l'homme et parti des Etats-Unis d'Europe, conscient que l'Europe de '92 risque de sanctionner une "Europe des marchands aux mains libres" en lieu et place de cette union politique européenne indispensable pour gouverner les grandes transformations et les choix fondamentaux de notre époque, le Parti Radical a déjà à son actif quelques précieux résultats.
C'est ainsi - je vous le rappelle sans doute - que la majorité du Parlement européen et la Chambre des Députés italienne ont revendiqué de véritables pouvoirs constituants pour l'Assemblée de Strasbourg qui sera élue l'année prochaine et ont demandé la convocation des douze Parlements nationaux, réunis en "Etats Généraux européens" afin d'élire les présidents du Conseil et de la Commission, en un mot les speakers capables de donner une seule voix à notre continent. C'est dans le même sens que s'oriente la campagne menée avec les fédéralistes pour l'organisation d'un référendum consultatif sur l'attribution de pouvoirs constituants au Parlement européen.
C'est pour pouvoir affronter de manière efficace et cohérente ces problèmes que le Parti Radical a décidé de s'organiser en "parti de services" transnational. C'est de cette manière seulement qu'il sera possible d'agir sur des thèmes précis dépassant frontières et souverainetés nationales (que l'on pense seulement aux droits de la personne, à la lutte contre l'extermination par la faim, à la macro-écologie). C'est avec cet instrument seulement qu'il sera possible d'oeuvrer aussi bien au sein des institutions du continent qu'au niveau de la société civile et de l'opinion publique.
C'est donc précisément cette vision politique - entièrement politique - du sujet Europe qui nous amène à la Yougoslavie et nous fait dire que le moment est propice, que le drapeau bleu à douze étoiles pourrait en accueillir une treizième, si seulement on en avait le courage et la volonté politique.
Sans idées préconçues ni présomptions, nous sommes convaincus que le fédéralisme européen n'est pas une mais LA réponse forte aux difficultés d'aujourd'hui. Aucune crise ethnique, économique et sociale ne peut être résolue de façon crédible à l'intérieur des vieux Etats nationaux, y compris la Yougoslavie. C'est aussi la seule perspective politique capable de faire sienne le patrimoine positif du non-alignement, dont la version moderne n'est autre que la participation à plein titre, dans le plus ferme respect de son autonomie, de la République yougoslave à la construction d'une Europe unie sous le signe de la démocratie et de la liberté.
De son côté l'Europe commettrait une grave erreur si elle négligeait cette perspective en s'enfermant rigidement dans ses frontières "occidentales". Au moment où son union se dessine il serait absurde qu'elle renonce dès le départ à la tentative d'enrayer la logique féroce de Yalta, qu'elle renonce au projet d'abattre à coups de démocratie et de non-violence le mur qui sépare les deux Europe. C'est pour toutes ces raisons que l'on peut dire que l'Europe est nécessaire à la Yougoslavie comme la Yougoslavie est nécessaire à l'Europe. La Yougoslavie, pour des raisons historiques et contingentes, devient même le véritable test de l'existence et de la capacité de l'Europe d'aujourd'hui de construire sa propre autonomie politique. Autonomie fondée non sur d'absurdes visées expansionnistes ou sur des intérêts de marché mais sur la prise de conscience que les Etats-Unis d'Europe doivent pallier à un manque dangereux existant aujourd'hui. Qui n'est autre qu'un manque de responsabilité, de démocratie, de paix dans un
monde toujours plus petit et interdépendant. C'est pour ces raisons que nous avons lancé, aux côtés des initiatives en cours au sein du Parlement européen, une pétition populaire pour l'adhésion de la Yougoslavie à la CEE. C'est pour ces mêmes raisons que nous avons procédé à toutes les démarches nécessaires pour que notre congrès puisse avoir lieu à Zagreb, du 4 au 8 janvier prochains. Une requête animée par le plus grand respect et l'esprit de dialogue, qui, si elle était acceptée, constituerait déjà un fait politique de première importance ne fut-ce seulement parce que pour la première fois un parti né dans cette partie de l'Europe pourrait tenir ses plus importantes assises dans un pays différent de ceux dans lesquels vivent et agissent la très grande majorité de ses membres. La réponse fin septembre.
Giovanni Negri
(Vice-Secrétaire du Parti Radical)