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Beaud Olivier, Liberation - 25 gennaio 1995
Histoire du concept de fédération.

FEDERATION, L'EUROPE ECRIT TON NOM

par Olivier Béaud *

SOMMAIRE: La fédération est une union volontaire et libre d'entités politiques dont le prodige est d'unifier ses Etats membres sans les absorber. Selon l'auteur, l'Union européenne est finalement le seul modèle correspondant à cette définition. (Libération, 25-01-1995)

Le plus grand flou règne sur les notions de fédéralisme et de fédération. "Fédéral" désigne, sans grande rigueur, tantôt une insupportable centralisation - quand, par exemple, on veut critiquer la construction européenne - tantôt l'idée de subsidiarité - quand, par exemple, on veut au contraire justifier la même construction européenne -, tantôt enfin un type d'Etat, l'Etat fédéral, qu'on identifie très hâtivement à la fédération.

Au XVIe siècle, en pleines guerres de Religion, quatre ans après la Saint-Barthélemy, Jean Bodin formule la première théorie de l'Etat dans ses Six Livres de la république (1576). Il invente la notion moderne de la souveraineté, qui est le principe structurant de l'Etat, et organise autour d'elle aussi bien le droit public interne que le droit international. Son système, extrêmement logique, est cependant incapable de rendre compte des figures politiques originales, de type fédératif, qu'étaient à son époque le Saint Empire romain germanique et la Confédération helvétique. Mais il marque indirectement la théorie de la fédération en limitant l'éventail des fédéralismes possibles: après Bodin, la fédération ne peut être qu'une fédération entre Etats, une » fédération interétatique . Alors que le Pacte d'Utrecht (1579) donne naissance à une nouvelle fédération, les Provinces-Unies, et que s'instaure un nouvel ordre politique européen avec le Traité de Westphalie (1648), Samuel Pufendorf, fondateur, avec Groti

us, de l'Ecole du droit naturel et des gens, apparaît, à la fin du XVIe siècle, comme le premier penseur en mesure de proposer une théorie de la fédération. Dans son oeuvre maîtresse, "De jure naturae et gentium", il écrit: "La confédération ( ...) consiste en ce que plusieurs peuples, sans cesser d'être autant d'Etats distincts, s'unissent pour toujours en vue de leur conservation et de leur défense mutuelle faisant pour cet effet dépendre de leur commun consentement l'exercice de certaines parties de la souveraineté." Bien avant Montesquieu, Pufendorf a compris que la fédération est fondée sur une nécessité à la fois politique et géopolitique: politique dans la mesure où elle vise à exclure perpétuellement le risque de guerre entre les Etats confédérés, et géopolitique dans la mesure où cette union entre Etats très proches (géographiquement évidemment, mais aussi culturellement) se fait contre un ennemi extérieur à la fédération.

C'est précisément ce double but qui justifie la mise en commun de certains pouvoirs de chaque Etat membre; mise en commun, qui dépasse largement ce qu'imposent les traités ordinaires. Rompant avec Bodin, qui conçoit le traité fédératif classique comme un traité d'alliance renforcée, Pufendorf distingue fortement le pacte fédératif et le traité d'alliance.

Si le premier engage toute l'entité politique dans son entier et implique de larges transferts de pouvoirs des Etats membres (qui paralysent leur souveraineté), le second, en revanche, est conclu pour une durée limitée et un objet également limité (un droit de guerre bien déterminé), et laisse donc intacte la souveraineté des EtatS membres qui l'ont contracté.

En outre, comme la fédération se définit comme étant une union "volontaire et libre" entre Etats, elle a une structure juridique éminemment "républicaine". D'une part, elle naît d'une

"convention", d'un pacte constitutionnel, entre les Etats membres. Par-là, elle se distingue de la notion d'empire, qui agrège des unités politiques par la force et non par un consentement mutuel. Ainsi, en dépit de la lettre de plusieurs de ces constitutions qui reconnaissaient aux Etats membres soit un droit de sécession, soit un droit d'autodétermination, le fédéralisme soviétique ou russe est un pseudo-fédéralisme qui cache mal la tradition impériale d'annexion par droit de conquête. D'autre part, dans son organisation, la fédération est gouvernée par une assemblée fédérative où tous les Etats membres délibèrent des affaires relatives au "bien et au salut commun de la fédération" (Pufendorf). Par ce caractère représentatif, la fédération se distingue des unions "personnelles", où l'organe fédératif commun est un monarque, comme c'est le cas de l'union entre l'Angleterre et l'Ecosse (à la différence des Provinces-Unies, où le stathoudérat n'a jamais remis en cause la structure républicaine de l'union).

En résumé, la fédération est une union volontaire et libre d'entités politiques (les Etats) dont le prodige est d'unifier ses Etats membres sans les absorber. contrairement à ce qu'on lit souvent, elle n'est ni un Etat (dit "Etat fédéral"), ni une simple confédération d'Etats souverains. En effet, lui manque la souveraineté pour être un Etat, et la souveraineté des Etats qui la composent (les Etats membres de la fédération) est trop largement entamée pour qu'on puisse les assimiler à des Etats pleinement souverains.

Dans la mesure où elle fait coexister deux pouvoirs politiques sur un même territoire (la fédération d'un côté et les Etats membres de l'autre), elle est une construction politico-judirique hétérodoxe par rapport au modèle dominant de l'Etat, dominé par la souveraineté. C'est pourquoi elle est un cas de figure finalement rare dans l'histoire politique européenne ou occidentale. C'est à peine si l'on peut citer cinq exemples: en Europe, la Confédération helvétique de la fin du Moyen Age à 1789, des Provinces-Unies des Pays-Bas, 1579 à 1795, la confédération germanique, de 1815 à 1875, et, en Amérique, la Confédération américaine, de 1781 à 1789, et les Etats-Unis d'Amérique de 1789 au début de la guerre de Sécession. Cette relative rareté empirique de la fédération tient à ce qu'elle doit remplir des conditions difficiles à réaliser (visant à concilier unité et diversité), mais également au fait qu'elle est contrainte d'évoluer dans un monde politique dominé par les Etats nations qui lui imposent sa loi d'air

ain de concentration du pouvoir. Plus encore que par une dissolution interne (guerre intra-fédérative comme la guerre de Sécession), la fédération est en effet menacée de disparition à cause de la centralisation effectuée au profit de l'Etat central. Elle est alors dénaturée en un "Etat fédéral" qui reproduit la logique de l'Etat - relation de commandement, d'obéissance - dans les rapports entre Etats fédérés et Etat central. C'est ainsi qu'aujourd'hui la plupart des grands Etats fédéraux (les Etats-Unis, l'Allemagne, la Suisse) ont succombé à la dynamique centralisatrice de la démocratie, et ne sont plus, à proprement parler, des fédérations.

Pourtant, l'idée et la pratique fédérales semblent aujourd'hui connaître un renouveau, mais pour des raisons qui sont quelquefois étrangères à l'idée de fédération. Pour ce qui concerne l'idée fédérale, on ne s'arrêtera pas sur le "fédéralisme intégral", ce courant d'idées fédérales qui continue la tradition pacifiste inaugurée par l'abbé de Saint-Pierre et Kant, poursuivie au XIXe siècle par Proudhon et Constantin Frantz. Il conçoit la fédération comme une notion idéale, dirigée polémiquement contre la nation et la guerre, mais pratiquement difficile à réaliser.

Plus intéressante est la nouvelle variante de l'idée fédérale qui définit le fédéralisme comme un instrument de la protection des minorités nationales qui ont du mal à être reconnues par l'Etat nation (fondé sur la base de la reconnaissance de droits individuels) et qui jouiraient enfin, dans la fédération, de droits collectifs. Cette idée renoue avec la vieille idée fédérale de concilier l'unité et la pluralité des peuples. mais ce type de projet politique ne correspond pas à l'idée de fédération telle qu'on l'a ici définie. Soit il vise à décentraliser de manière nouvelle un Etat qui continue à exister (cas de l'Espagne), soit il constitue le premier pas en vue de dissoudre un Etat - qu'il soit fédéral ou unitaire - et de reconstituer de nouveaux Etats nations constitués autour de minorités nationales qui ne veulent plus vivre avec le groupe dominant (Canada ou en Belgique). Ce type de fédéralisme évolue donc entièrement dans l'orbite de l'Etat.

Pour ce qui concerne la pratique fédérale, on passera rapidement sur le cas de la Fédération croato-bosniaque, qui reproduit le schéma classique d'un traité d'alliance et qui ne peut prétendre au statut fédératif tant la volonté de vivre ensemble fait défaut. Finalement, la seule figure actuelle qui mêle théorie et praxis, et qui correspond à la notion de fédération est l'Union européenne.

Le but des fondateurs de l'Europe institutionnelle était bien d'unifier les Etats européens non soumis à Moscou, sans pour autant les absorber dans un super-Etat. Cette union d'Etats entre bien dans le genre de la fédération dont la fédération économique constitue une espèce qui peut ou non se convertir en une fédération politique.

De ce point de vue, l'Europe actuelle témoigne d'une évolution de la fédération qui, d'institution à l'origine géopolitique, est devenue une institution géo-économique au terme d'une évolution parallèle à celle des Etats qui ont vu leurs finalités changer au fur et à mesure où les considérations de bien-être venaient concurrencer celles de puissance.

* Membre de l'Institut universitaire de France, professeur de droit public à l'université de Lille II.

BIBLIOGRAPHIE:

- Maurice Croisat, Le Fédéralisme dans les démocraties contemporaines, Montchrestien, coll. Clefs, Paris, 1992.

- Stéphane Rials, Destin du fédéralisme, LGDJ, Paris, 1986.

- Gérard Soulier, L'Europe. Histoire, civilisation, institutions, A. Colin, Paris 1994.

- Olivier Béaud, La Fédération entre l'Etat et l'Empire, in Bruno Théret (dir.), L'Etat, la finance et le social. La souveraineté nationale et la construction de l'Europe, la Découverte. Paris. (Article à paraître.)

 
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