SOMMAIRE: Marco Pannella intervient durant un débat plutôt sérieux et technique sur l'emploi en Europe, en donnant le meilleur de ses dons oratoires: enchaînement de thèmes indirectement associés, humour cinglant et hilarant. Il saisit l'occasion de la discussion sur la situation de l'emploi en Europe pour critiquer la mauvaise organisation des travaux du Parlement européen, comparé à une usine de saucisson distribuant des tranches d'interventions. De plus, les modèles de développement industriel sont anti-économiques et ne tiennent absolument pas compte des préjudices causés au territoire, à l'environnement, à la population. Conclusion: le Parlement européen doit combattre la mauvaise organisation du travail, en commençant par donner l'exemple en son sein même (15-01-79).
M. Pannella. - (I) Monsieur le Président, je pense que beaucoup de choses importantes ont été manifestement non seulement dites, mais aussi rabâchées, tant au cours de ce débat que dans la littérature toujours plus importante qui s'accumule aux divers niveaux - scientifique, politique et syndical - publiée sur ce thème. Certes, il me paraît nécessaire de parler de l'incidence des phénomènes du marché, des phénomènes productifs par rapport à la réalité de notre travail, mais nos collègues savent fort bien que dans notre Parlement nous nous trouvons être, en réalité, des joueurs qui disposent de quelques fiches, de quelques jetons et que nous devons saisir le moment où il nous est permis de jouer une certaine partie: cela arrive rarement et on peut le faire avec une mise toujours importante et, en conséquence, il nous faudra, par la force des choses, être brefs.
Il est intéressant d'analyser ce que l'on prétend obtenir avec le type d'organisation de nos travaux, ce que l'on veut faire en ignorant les caractéristiques de notre travail parlementaire; en ce qui concerne le travail, il est intéressant de comprendre comment vous vous êtes organisés vous-mêmes et comment vous avez organisé le travail, en tenant pour acquis un certain absentéisme - considéré comme physiologiquement nécessaire ou comme inévitable - et comment vous avez décidé que nous nous réunirions en séance plénière quatre ou cinq jours seulement par mois. C'est un problème d'organisation du travail, et même de physionomie du travail du parlementaire, surlequel peut-être on pourrait faire quelque étude supplémentaire pour voir aussi comment les critères de productivité que vous fixez font plutôt de ce Parlement une fabrique de saucissons où l'on distribue, à la place de tranches de saucisson, des tranches d'intervention et de parlotte. J'ai donné cet exemple pour dire que les problèmes d'organisation du
travail et de la production sont difficiles à résoudre.
Cependant, Monsieur le Président, le problème est - me semble-t-il - simplement de rappeler quelques observations classiques: travail, pourquoi ? Quand nous entendons notre collègue Nyborg faire l'apologie du travail et l'apologie de ceux qui veulent travailler, nous devons aussi nous rendre compte que, bien souvent, le travail est, pour les gens, avant tout une sorte d'élément de respectabilité sociale. Il n'y a pas de connexion dans notre société et dans vos valeurs entre le travail que l'on fait et les intérêts de la personne. Bien souvent on est obligéde travailler car une personne qui n'a pas une carte de visite symbolique à présenter est considérée automatiquement - même si elle fait un travail intellectuel ou un travail artisanal non reconnu par les corporations et par les syndicats - comme un être socialement dangereux.
Je voudrais faire encore une autre observation, peut-être marginale, et je dirai que tous vos processus productifs - aussi bien parlementaires qu'industriels, qui se fondent sur quelques analyses des coûts - font penser un peu à la façon dont vous autres, représentants d'un certaine classe et d'un certain type de capitalisme d'Etat ou privé, avez toujours fait vos comptes sur les questions d'énergie: vous avez fermé les mines de charbon parce que vous disiez que la production de charbon n'était pas rentable dans la mesure où vous considériez que le baril de pétrole devait continuer à coûter non pas ce que décidait le pays producteur, mais ce que vous estimiez approprié pour vos comptes économiques. En outre, Monsieur le Président, nous avons des industries qui sont à fort coefficient de main-d'oeuvre et, à mon avis, nous devons aussi les faire entrer dans notre compte. Les modèles de développement comme la pétrochimie que vous nous proposez ici même dans notre Parlement sont typiquement anti-économiques si n
ous évaluons tout ce qu'ils coûtent au territoire, tout ce qu'ils coûtent au milieu, tout ce qu'ils coûtent en énergie, en concentrations improductives de maind'oeuvre. Vous nous proposez ces modèles et, d'autre part, au contraire, vous considérez comme utopiques les verts, lesquels considèrent justement que c'est par une solution anti-industrielle que l'on pourrait trouver des possibilités de travail et non pas de chômage. Si nous utilisions l'énergie douce, si nous adoptions une autogestion démocratique de l'économie, une organisation de la production industrielle et économique qui plongerait ses racines dans notre territoire même et qui ferait de tous les citoyens les gérants du processus de production, nous pourrions peut-être alors en venir à considérer le plein emploi comme un patrimoine de base à conquérir pour rendre ensuite l'économie plus productive sans vouloir continuer à se bercer de l'illusion que, maintenant, même les keynésiens devraient avoir faite leur, de pouvoir manoeuvrer l'emploi et la
productivité surtout en agissant sur la masse monétaire, sur les aspects du travail économique qui n'ont pas un caractère structurel.
En conséquence, Monsieur le Président, cela est un exemple de mauvaise organisation du travail, qui prouve la nécessité pour le Parlement de penser à s'organiser lui-même avant de penser à organiser les autres.