interview de Marco Pannella par Hulda Liberanome(Haaretz - Jerusalem - Octobre 1988)
SOMMAIRE: Pannella explique les raisons pour tenir le Conseil fédéral à Jérusalem, l'attitude du Pr vers l'Israël et vers la problématique des territoires occupés en condamnant la violence et les violations de la légalité et du droit par les israéliens ainsi que par les palestiniens. L'erreur de fond est de croire que l'objectif de l'Etat National soit l'idéal à défendre, comme structure historique adéquate et positive. Seulement la démocratie politique, avec le respect des droits de l'Homme et des droits politiques de l'individu est capable de garantir l'autonomie des peuples et des différentes nationalités. En plus il explique ses motivations pour la participation immédiate de l'Israël aux Etats-Unis d'Europe.
(Nouvelles Radicales N. 6 - octobre 1988)
L'interview qui suit a été accordée par Marco Pannella à Hulda Liberanome, correspondante en Italie de Haaretz. Fondé en 1922, Haaretz fut le premier quotidien en hébreux. Les questions de la journaliste et les réponses de Marco Pannella que nous publions ici ont été insérées dans un long article que le journal israélien publiera à l'occasion du prochain Conseil Fédéral du Parti Radical qui se tiendra à Jérusalem du 21 au 25 octobre.
Hulda Liberanome: Pourquoi avez-vous choisi Jérusalem comme siège de la prochaine réunion du Conseil Fédéral du Parti Radical ?
Marco Pannella: Parce que - comme vous le savez bien - aucune autre force politique internationale, n'est amie d'Israël autant que nous, et nous l'avons démontré par les faits dans les moments les plus difficiles, qu'ils soient dûs aux erreurs des autres ou aux siennes. Parce que nous ne pouvions retarder encore ce rendez-vous avec le lieu qui est pour nous frontière de liberté, de démocratie, de non-violence et de paix, de droit à la vie et de vie du droit. Frontière tragiquement en danger, et ce également de par la solitude et les erreurs de qui y risque sa vie et notre vie morale, civile et politique. Parce que - pour finir - si la cause d'Israël devait rester une cause "nationale", une cause en faveur de l'affirmation d'un "Etat national", l'idéal et l'objectif mêmes seraient en eux-mêmes perdants, négatifs, ennemis.
H.L.: Comment voyez-vous une possibilité de solution politique à la crise dans les zones occupées par Israël ?
M.P.: Notre position est complètement différente de toutes celles qui existent, et encore inconnue, censurée qu'elle est depuis au moins dix ans. Le problème n'est pas celui de la crise dans les zones occupées ou administrées, mais celui de la crise d'une stratégie, d'une part; et de l'inaptitude politique et de la vieillesse de la classe dirigeante israélienne de l'autre.
Contrairement à presque toute la gauche
Contrairement à presque toute la gauche, un peu partout dans le monde, nous, nous ne sommes pas pacifistes mais non-violents. Il n'y a pas de paix possible là où existe la violence de l'injustice, de régimes antidémocratiques de quelque type que ce soit. Il faut donc être toujours à l'attaque, toujours partisans, jamais "équidistants" et irresponsables sur le plan des stratégies politiques comme le sont en général les pacifistes. Spécialement au cours de la dernière année la démocratie israélienne a été responsable de centaines de morts, de violations de la légalité et du droit, en plus que des droits civils. Trop nombreux sont ceux qui n'ont pas compris que ce que les ennemis d'Israël craignaient vraiment ce n'était pas ses armes et sa puissance militaire, mais son système politique, les idéaux de civilisation et de démocratie, de justice qui sont officiellement les siens. Mais le monde continue à ignorer, à vouloir ignorer que les pires erreurs et crimes d'Israël ne sont quasi rien par rapport à tout ce qu
e les régimes du Moyen-Orient produisent quotidiennement contre les femmes et les hommes arabes. Personne ne semble réfléchir sur le fait qu'en Syrie, au Liban, partout, on massacre parfois en une seule journée autant de personnes qu'Israël n'en a blessées en deux ou trois décennies. Certes, pour nous, les crimes, les erreurs dont se tache Israël suffisent à nous remplir de douleur et d'horreur, de la même manière que quand ils sont imputables à la responsabilité d'autres pays démocratiques.
Arafat serait mort assassiné, ou serait exilé... en Israël
Mais ce n'est pas pour cette raison que je suis d'accord, par exemple, avec ceux qui depuis des années veulent qu'Israël se retire tout simplement des territoires occupés. Je suis convaincu que si cela s'était passé il y a dix ou vingt ans, on aurait eu en Palestine, massacres, horreurs, dictatures. Arafat serait mort assassiné, ou serait exilé ... en Israël. Dans le contexte politique actuel les risques que comporte l'abandon militaire de ces terres à d'autres qu'à des garants internationaux, très forts, de paix et d'initiative de paix, doivent être calculés avec une extrême prudence. Malheureusement l'inaptitude à gouverner de la classe dirigeante israélienne est en train de tout compromettre (si le gouvernement de Rome avait "administré" avec la même cécité, mesquinerie, incompétence dans la prévention et la répression, nous en aurions exigé la démission par tous les moyens possibles). Mais l'erreur de fond est autre...
H.L.: Quel est-elle ?
M.P.: L'erreur de fond est déterminée par l'acceptation acritique, donnée pour évidente, de l'idée de l'Etat National comme objectif, comme idéal à défendre, comme structure historique adéquate et positive. L'Etat national au contraire est un résidu dangereux du siècle passé, à l'origine d'une grande partie des tragédies de ce siècle-ci, en particulier de ces dernières années dans le monde entier.
Etats-Unis d'Europe (et de la Méditerranée)
Pour des raisons culturelles, politiques, civiles, économiques, technologiques, écologiques, il est aujourd'hui nécessaire de former ou de faire partie de grands Etats fédéraux plurinationaux. Les seuls qui puissent avant tout être suffisamment forts pour être aussi défenseurs de la liberté et du droit des personnes et des peuples. Israël devrait faire partie - immédiatement - des Etats-Unis d'Europe (et de la Méditerranée). Faire partie d'un puissant ensemble politique de plus de trois cent millions de personnes organisées par des systèmes démocratiques, constituerait une garantie pour sa sécurité et pour sa défense, pour son économie et son développement. Et cela constituerait une force d'attraction pour tous ceux qui, au Moyen-Orient, comprennent qu'il faut conquérir démocratie et paix civile pour leurs propres pays également. Alors, on pourrait tout de suite procéder aussi à l'abandon des territoires administrés, traiter une paix qui garantisse aux Palestiniens, aux Libanais, de ne pas passer de la poêle
aux braises, de ne pas risquer de "libérations" cambodgiennes ou ... syriennes, ou khoménistes.
H.L.: Quelle signification peut avoir pour les conflits régionaux la constitution d'un parti transnational ?
Un parti transnational est condition d'efficacité, de durée et d'intelligence historique
M.P.: Un parti transnational est condition d'efficacité, de durée et d'intelligence historique. Pour les mouvements sionistes ou pour ceux qui y ont milité de par le passé, il constitue aussi une réponse contemporaine, réformée, actuelle. Mais si l'on ne saisit pas l'occasion du Parti Radical, et si l'on le laisse courir le risque de la faillite d'une entreprise aussi importante, tout cela devient très abstrait.
H.L.: Que pensez-vous de la position critique du Parti socialiste italien à l'égard de la gauche israélienne ?
M.P.: Le P.S.I. paie et fait payer son tacticisme, son conformisme, sur ce front également. Et le moment actuel de polémiques et aussi d'opposition entre nous (traditionnellement et l'année dernière encore nous étions des alliés fraternels) se ressent aussi de cette position aveugle et cynique qui est la sienne.
H.L.: Le Parti Radical s'est donné beaucoup de mal pour les juifs soviétiques. Croyez-vous, à la lumière de l'actuelle politique soviétique, que le problème des droits des juifs soviétiques soit désormais en passe d'être résolu ? Que pensez-vous des droits des autres minorités et des différentes nationalités dans l'U.R.S.S. d'aujourd'hui ?
H.L.: La dernière fois que je suis venu à Jérusalem, recevant avec la délégation du Parlement européen les représentants de dix familles de refuznik, je déclarais qu'il fallait remplacer le traditionnel salut "l'année prochaine à Jérusalem" par un nouveau "cette année à Jérusalem". Il faut cependant lutter pour qu'il en soit ainsi, et en nourrissant l'espérance que cela devienne possible. Nous avons lutté et les neuf refuznik que le Parti Radical avait décidé d'"adopter", sont arrivés en Israël.
Avec Gorbatchev il faut ne pas baisser la garde, en étant prompts à reconnaître le bien qui sera fait, en l'encourageant sur cette voie au moyen d'actes concrets de reconnaissance.
de véritables Etats fédéraux plurinationaux
En U.R.S.S. aussi, comme en Yougoslavie, ces jours-ci, le problème de la réalisation de véritables Etats fédéraux plurinationaux explosent. Et l'on découvre, s'il en était besoin, que c'est seulement avec la démocratie politique, avec le respect des droits de l'Homme et des droits politiques de l'individu, qu'il est possible de garantir aussi l'autonomie des peuples et des différentes nationalités.